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Philologie d'Orient et d'Occident
23 octobre 2017

La littérature et la traduction (1)

Philologie d'Orient et d'Occident (388)

                                                         Le 24/10/2017    Tokyo   K.

La littérature et la traduction (1)

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Un platane à Pamiers, Ariège (photo: Hitoshi Wada, 09/2011)

 

   Ces billets bénéficient, lors de l'établissement du texte, des opinions ou des conseils bienveillants de plusieurs lecteurs Français, dont Patrick Corneau, ancien universitaire et excellent blogueur (Lorgnon Mélancolique, cf. billet 330). Voici ce qu'on a discuté récemment.

   Patrick: [...] tu raccroches bien le sujet [la traite négrière] avec Pamiers (cf. billet 387). [...] Le Roy Ladurie en parle longuement dans son livre sur Montaillou. [...] Que penses-tu de l’attribution du Nobel de littérature à l’anglo-japonais K. Ishiguro?  

   Kudo: En effet, l’inquisiteur de Montaillou [Jacques Fournier, futur Benoît XII, pape d'Avignon (1334-1342)] a été évêque de Pamiers. [...] Pour Kazuo Ishiguro, honte à moi! Je ne le connaissais même pas de nom. Il écrit en anglais. La langue prime la nationalité...

   P. :  J’ai lu récemment son premier roman "Lumière pâle sur les collines" on m’avait dit que c’est de ces livres "dont on ne sort pas indemne". Hé bien, je suis ressorti indemne [...]

    Ce petit mot, que tu m’éclaires sur un point qui m’intrigue. Dans la traduction des "Poèmes de l’ermitage" [草堂詩集 Sôdô Shishû] de Kyôran que je viens de lire, il y a une indication pour le moins ambiguë sur la page de titre : «traduit du chinois (Japon)...» Certes, en son origine le japonais est issu de la simplification du chinois archaïque, mais il n'y a pas assimilation, et les deux langues sont, me semble-t-il, bien différentes. Peux-tu m’éclairer? 

   K. :  [...] Le bonze 良寛 Ryôkan (non pas Kyôran) a laissé plus d’une centaine de poèmes en chinois classique. C’est ce chinois (en idéogrammes qui se lisent en chinois ainsi qu'en japonais) à partir duquel le traducteur français aurait fait son travail en français. Si on ne connaît pas les idéogrammes de l’original, la compréhension est imparfaite. Ne veux-tu pas faire du japonais ?

   P. : [...].  Je suis désolé pour l’interpolation Kyôran/Ryôkan qui dénote mon ignorance de la langue japonaise (mais pas le grand intérêt que j’ai pour la littérature, culture et civilisation japonaises). Je ne désespère pas de l’apprendre dans une autre vie si mon karma me le permet...

   K. : [...]. Mais si tu as un grand intérêt pour la littérature japonaise, tu n’as qu’à commencer l’écriture japonaise. La littérature n'est-elle pas liée à sa forme? La traduction en japonais de l’Iliade n’est pas un texte de littérature grecque mais de littérature japonaise (à l’inspiration grecque), car elle est exprimée en japonais. Les Pensées de Pascal ne sont pas rendues ni en latin ni en japonais actuel mais en français du XVIIe siècle. Le sens n’est pas abstrait mais concret, attaché à la forme. La traduction ne donne qu’une vague approximation. Le roman de Proust, traduit dans une autre langue, perd sa saveur et même son essentiel. La traduction, trompeuse, dévie. (Je renchéris, car) dans la littérature, l’universel n’existe pas. Tout art n’est que dans le particulier, voire, l'unique. Le comique de Proust n’est pas traduisible en d’autres langues qu'en français. L’idée commune (le sens) n’est rien. Mes écrits en français, si je dois les exprimer en japonais, je les rendrai tout autrement. Malgré Rivarol, le français n’est pas «la langue» mais une langue. Sans connaissance des idéogrammes chinois, on ne peut accéder au 草堂詩集 Sôdô-Shishû.

   P. : Bien sûr que j’aimerais lire la littérature japonaise dans le texte, je sais que je perds - sans savoir quoi, d’ailleurs - en faisant confiance à un traducteur. La traduction est un pis aller, elle est tout de même une porte ouverte sur des mondes autres. Au moins elle brise l’enfermement dans la langue et la culture propre qui est, selon moi, une diminution. Par ailleurs, chaque traduction est une œuvre en soi, singulière, unique, reposant sur le talent du traducteur, certaines œuvres, et parfois certains auteurs «gagnent» à la traduction qui donne un résultat supérieur à l’original. Sans l’immense talent d’E. Coindreau, Faulkner n’aurait pas eu le succès qu’il a eu en France et l’ascendant sur nombre d’écrivains français. Les traducteurs sont des «passeurs», ils décloisonnent les langues et c’est de la défusion des langues que procède la croissante intelligence des choses. (À suivre)

 

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