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Philologie d'Orient et d'Occident
4 août 2015

Un autre Moyen Âge (1)

Philologie d'Orient et d'Occident (330) Le 04/08/2015  Tokyo K. 

Un autre Moyen Âge (1)

Potlatch à rebours

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Toile aux magnolias par Misao Wada (cousu main)

 

   Patrick Corneau, auteur de Brasileza (Collection Cahiers & Cahiers, Éd. Caractères, 2005), lui-même excellent blogueur (sous le nom de Lorgnon Mélancolique), lecteur bienveillant de mes petits billets depuis quelques années, m'a transmis un commentaire, aussitôt après la publication de mon dernier billet intitulé: Repenser Charlie Hebdo (5) «L'insolence langagière» (le 21/07, 2015), sous forme d'une longue citation d'un texte inédit (2005?) de Jean Baudrillard (1929-2007). Je le reproduis en extrait:

   « Le défi des terroristes à l'Occident, c'est celui de leur propre mort. Notre potlatch à nous c'est celui de l'indignité, de l'impudeur, de l'obscénité, de la liquidation de toutes les valeurs - c'est le sacrifice délibéré de tout ce par quoi une culture, ou un être humain, garde quelque valeur à ses propres yeux. Toute notre culture va dans ce sens, c'est là où nous faisons monter les enchères. Notre vérité est toujours du côté du dévoilement, de la désublimation, de l'analyse réductrice - c'est la vérité du refoulé - de l'exhibition, de l'aveu, de la mise à nu - rien n'est vrai s'il n'est désacralisé, objectivé, dépouillé de son aura, traîné sur scène. (...)

   Si nous ne pouvons pas mettre en jeu notre propre mort, nous sommes déjà morts. Et c'est cette indifférence et cette abjection que nous lançons aux autres comme un défi: le défi de s'avilir en retour, de nier leurs propres valeurs, de se mettre à nu, de se confesser, d'avouer - bref de répondre par un nihilisme égal au nôtre. Nous essayons bien de leur arracher tout cela de force, par l'humiliation dans les prisons d'Abou Ghraib [cf. billet 314], par l'interdiction du voile dans les écoles, mais ça ne suffit pas à notre victoire: il faut qu'ils y viennent d'eux-mêmes, qu'ils se sacrifient eux-mêmes sur l'autel de l'obscénité, de la transparence, de la pornographie et de la simulation mondiale. (...)

   Potlatch contre potlatch, l'un balance-t-il l'autre? On peut penser que l'un est un potlatch par excès (celui de la mort), l'autre un potlatch par défaut (celui de l'autodérision et de la honte). Dans ce cas, ils ne se répondent pas exactement et il faudrait parler d'un potlatch asymétrique. (...) (Le Jeu de l'antagonisme mondial in l'Agonie de la puissance, Ed. sens&tonka, mai 2015)

   - - - - - - - - -

   Le texte de Baudrillard est produit non pas à la suite de la manifestation du 11 janvier 2015, puisque l'auteur n'est plus à cette date, mais après l'intervention militaire anglo-américaine en 2003 dans l'affaire d'Irak. Tout s'est passé comme il avait imaginé. Et en 2015 nous voilà dans de beaux draps. Baudrillard avait bien vu en 2005 (?) les conséquences du choc.

   Le potlatch ("donner") est un troc non commercial pratiqué en Amérique du nord, entre les indigènes formant un groupe ayant une même organisation sociale, les mêmes croyances religieuses, et souvent, une même langue. Les objets échangés doivent équivaloir l'un à l'autre. À celui qui donne, il faut rendre un autre objet de la même valeur. La valeur de l'objet qu'on échange risque souvent de monter indéfiniment.

   Celui qui ne peut rendre convenablement doit céder à tous les caprices de l'autre. Le potlatch, probablement né comme système niveleur des richesses naissantes (cf. la triérarchie dans les antiquités grecques: billet 302), peut se transformer en dangereuses nuisances réciproques.

   Le rapport actuel entre l'islam endurci et l'Occident se présenterait sous l'aspect d'un potlatch en sens inverse, à rebours. L'enjeu est la mort. Or, pour les modernes (occidentaux ou pas), la mort est au bout de la vie alors que pour les endurcis, qu'ils soient musulmans, chrétiens (martyrs au moyen âge) ou bouddhistes, la mort n'est / n'était qu'une étape. Elle est au milieu de la Vie.

   Le problème est là. La décapitation se pratiquait, au temps des croisades, des deux parts. Les Assassins, secte chiite, étaient souvent du côté des chrétiens Francs, Franj, envahisseurs européens à l'époque en Terre Sainte (cf. Amin Maalouf: Les croisades vues par les Arabes, 1983). Depuis, les musulmans ont peu évolué, les Occidentaux irrémédiablement mué. 

   "Nous" on était donc comme "eux" voici plusieurs siècles. C'est pourquoi on a pu tant bien que mal s'arranger (parfois en s'entre-tuant) avec les autres croyants, qu'ils soient "infidèles" ou "hérétiques", pendant plus de mille ans, puisque on avait la même conception du "religieux" (cf. billet 328).  (À suivre)

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Commentaires
L
Un regard explicatif sur le contexte de l'affaire "Charlie Hebdo" inattendu et original. Merci!
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