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Philologie d'Orient et d'Occident
2 avril 2022

Arbitraire du signe

Philologie d'Orient et d'Occident (497) : le 02/04, 2022, Tokyo, S. Kudo

Le signe, le sens et l’essence ; l’arbitraire du signe

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Notre cerisier en fleurs (Shibuya, Tokyo, 01/04, 21, photo par S. K.)

 

  À la recherche de la vérité du nom : θέσει « de convention, par la coutume » et ψύσει « de nature, conformément à la nature »

  On a longtemps débattu, dans l’antiquité, du signe et de la chose, entre partisans d'une relation arbitraire entre les deux (θέσει « de convention ou par la coutume ») < θέσις « convention » et partisans d'une relation nécessaire (φύσει « de nature, conformément à la nature » < φύσις « nature »). Cratyle, à la fin du Ve siècle av. J.-C., prétendait que les noms étaient nés de la nature des choses, φύσις ; alors que Hermogène, disciple de Socrate, voyait dans les noms, des signes de la convention, θέσις.

  Il semble que les deux chapitres étrangement nommés dans le roman de Proust : NOMS DE PAYS : LE NOM (3e partie Du côté de chez Swann) et NOMS DE PAYS : LE PAYS (2e partie de À l’ombre des jeunes filles en fleurs) nous témoignait avec précision de l’intérêt de Proust pour l'onomastique.

  Saussure a modernisé le débat sur l’arbitraire du signe, fondé sur le nom (signe) et la chose, qu'il a transposé dans le rapport interne : signifiant et signifié. Dès lors, la discussion a changé totalement d’aspect. 

  Le linguiste le plus profond du XXe siècle, Émile Benveniste, affirme : Entre le signifiant et le signifié, le lien n’est pas arbitraire ; au contraire, il est nécessaire. (…) L’esprit ne contient pas de formes vides, de concepts innommés. (Gallimard 1966, Problèmes de linguistique générale, 1, p. 51, repris aux Acta Linguistica, I, 1939)

  Roman Jakobson fait écho à Benveniste : Ni la nasalité telle quelle ni le phonème nasal /n/ n’a de signification propre. Or ce vide cherche à être rempli. L’intimité du lien entre les sons et le sens du mot donne envie aux sujets parlants de compléter le rapport externe par un rapport interne, la contiguïté par une ressemblance, par le rudiment d’un caractère imagé. (Six leçons sur le son et le sens, Minuit, 1976, p. 118)

  La géographie linguistique (cf. billet 83) apparue à la période où Proust développait ses activités littéraires, au début du XXe siècle, est une science dans laquelle on recherche une communauté sous divers signes : la méthode dévoile parfois un résultat inattendu. Quand le curé de Combray répond à la question d’Eulalie, orpheline employée au presbytère, sur le saint patron de l’Église de Combray : saint Hilaire, en montrant la répartition géographique de son nom. Il précise, comme elle ne voit pas où est saint Hilaire: 

   « Mais si, dans le coin du vitrail, (…) dans certaines provinces, saint Illiers, saint Hélier, et même, dans certaines provinces Saint Ylie. Ces diverses corruptions de sanctus Hilarius ne sont pas du reste les plus curieuses de celles qui se sont produites dans les noms des bienheureux. Ainsi votre patronne, ma bonne Eulalie, sancta Eulalia, savez-vous ce qu’elle est devenue en Borgogne ? Saint Éloi tout simplement : elle est devenue un saint. Voyez-vous, Eulalie, qu’après votre mort on fasse de vous un homme ? » (Pléiade, tome I, p. 105)

  Il se peut que le Nom Propre et le Sens se transforment totalement avec les années, et même de fond en comble dans le passage d'un sexe à l'autre. Dans un pays au langage alphabétique, le lien du son avec le sens ne peut être fixe.  

… …      

  Dans un pays d’idéogrammes comme le Japon, la relation entre le son et le sens ne se présente pas avec la limpidité du système alphabétique. Car l’idéogramme se compose d’une forme à plus ou plusieurs sens et d'une signification également plurielle. Prenons une bribe poétique de Nishiwaki Junzaburô : 何人か(誰かとささやく)

  Le poète, qui voyait une communauté entre le grec homérique et le chinois classique a voulu trouver des exemples concrèts de correspondance entre deux langues considérées a priori totalement différentes. Il nous a laissé des milliers de liasses de feuilles.

  Or, dans ce fragment poétique, 何人 permet au moins deux lectures : nambito « qui ? » et nan-nin « plusieurs personnes ». Seul le contexte peut déterminer l’interprétation. On ne peut s'offrir ici le luxe de l’arbitraire.

  Saussure finit par s'adonner à l’art de l'anagramme ; Nishiwaki s’amouracha des langues aux antipodes (cf. billet 48, et autres). Alors que Proust, passionné de l'étymologie onomastique, ne se vouait-il pas à retrouver l’origine des choses ?

   (À suivre)

 

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