Philologie d'Orient et d'Occident (500) : le 07/05, 2022, Tokyo, S. Kudo

Ce que tu n’apprends pas de nous aujourd’hui, tu ne le sauras jamais   (tome 1, p. 719)

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La gare de Limoges (2017, photo par S. K.)

 

Deux exclus du roman : le compositeur Vinteuil et l’archiviste Saniette 

   Le billet 94 (http://xerxes5301.canalblog.com/archives/2011/01/05/20028651.html) a été publié le 05/01, 2011, quelques semaines avant la grande catastrophe sismique survenue le 11/03, 2011, qui occasionna un immense tsunami sur les côtes pacifiques du nord de Tôhoku.

   Dans ce billet nous voulions marquer notre sympathie pour un personnage de À la Recherche du temps perdu : le compositeur Vinteuil. La phrase de la sonate qu’il a composé et vu jouée une seule fois dans sa vie est devenue après sa mort, pour Swann et Odette, l'hymne national pour leur l'amour.

   La sonate est née des écrits qu’il a laissés à l'état d'indéchiffrables notations. Sa manière de noter les signes était telle qu’il était difficile de déchiffrer le manuscrit pour une personne non experte ou qui ne connaissait pas son travail.

   Indéchiffrables, mais qui pourtant avaient fini à force de patience, d'intelligence et de respect, par être déchiffrées par la seule personne qui avait assez vécu auprès de Vinteuil pour bien connaître sa manière de travailler, pour deviner ses indications d'orchestre : l'amie de Mlle Vinteuil. Du vivant même du grand musicien, elle avait appris de la fille le culte que celle-ci avait pour son père. (Pléiade, III, p. 261).

   Or justement, l’amie malfamée, dont la mauvaise réputation faisait cancaner tout Combray, mais qui s’y connaît en musique, avait bien vu, lorsqu’elle venait de s’adonner aux plaisirs de l'amour avec la fille de Vinteuil, les manières de travail de ce dernier. Sachant déchiffrer les signes, cette « vicieuse » assura la gloire posthume du père de Mlle Vinteuil. Les mauvaises mœurs sont souvent rendues par la bonté du cœur.

   Le parallélisme s’établit donc comme suit ; la fille abusée et sacrilège de Vinteuil : Proust transposé ; Vinteuil : la mère morte du romancier qui souffrait de la débauche dégradante de son fils ; la « vicieuse » douée en musique : Lucifer créateur de l’art.

  Le cas de Saniette.

  Swann demanda à faire la connaissance de tout le monde, même d’un vieil ami des Verdurin, Saniette, à qui sa timidité, sa simplicité et son bon cœur avaient fait perdre partout la considération que lui avaient value sa science d’archiviste, sa grosse fortune, et la famille distinguée dont il sortait. Il avait dans la bouche, en parlant, une bouillie qui était adorable parce qu’on sentait qu’elle trahissait moins un défaut de la langue qu’une qualité de l’âme, comme un reste de l’innocence du premier âge qu’il n’avait jamais perdue (I. 203).

  Le comte de Forcheville, qu’Odette séduisit pour se faire épouser au détriment de Swann, se révéla être beau-frère de Saniette (…) « ce qui remplit d’étonnement les fidèles [des Verdurin] : le vieil archiviste avait des manières si humbles qu’ils l’avaient toujours cru d’un rang social inférieur au leur et ne s’attendaient pas à apprendre qu’il appartenait à un monde riche et relativement aristocratique (I. 250).

  Saniette, longtemps tête de Turc de la coterie des Verdurin, finit par en être exclu. Invectivé et insulté par Forcheville, son beau-frère, parce qu’il était arrivé à Saniette de lui faire une réponse maladroite, il fut définitivement expulsé du cercle. L’acte était consenti et approuvé tacitement par les Verdurin (I. p. 277). Le monde de l’époque était sauvage, féroce, imprégné de malveillances et prompt à châtier sans retenue. Sur le tard de la vie, tous font tomber le masque et révèlent leur envers, sauf Vinteuil et Saniette.

  Ces deux personnages de second plan, si attachants que nous n’avons pu nous retenir de sympathiser avec eux, comment l’auteur aurait-il pu les créer s’il ne se sentait pas de leur famille ?

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   Nous voilà au billet No 500. Nous avons monté un blog à Tokyo, en février 2010, intitulé « philologie d’Orient et d’Occident ». Avec l’aide constante d’un ami, Clément Lévy, enseignant de langue française à Berlin, et grâce à Jean-Pierre Levet, helléniste, qui a été invité à donner des conférences au Collège de France, grammairien comparatiste et excellent étymologiste (noms de lieux et de rivières) à Limoges, j’ai pu atteindre le chiffre auquel je ne m'attendais pas.

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  Je dédie tous ces billets aux cinq villes situées à une vingtaine de kilomètres autour de Poitiers : Vouillé-la-Bataille, Lusignan : pays de Mélusine, Vivonne, Gençay et Chauvigny. Elles forment une belle constellation autour de la métropole du Poitou. Et à Limoges, ville intermédiaire du Centre-Ouest de la France, riche en langues d’Oïl et d’Oc.     Le 07 mai, 2022. S. K.