Repenser Charlie Hebdo (5)
Philologie d'Orient et d'Occident (329) Le 21/07/2015 Tokyo K.
Repenser Charlie Hebdo (5)
Fraises par Misao Wada (cousu main)
Il est paru sur la Toile (Le Point. fr, éd. de la mi-journée du 14/07, 2015) une petite image commémorative en l'honneur des victimes policières tombées lors de l'attaque perpétrée à la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, boulevard Voltaire, Paris. La modeste photo représente de manière émouvante neuf bougies dont six seulement sont allumées, trois éteintes, posées contre trois plaques de tailles différentes, couchées, illuminées bleu-blanc-noir, sur lesquelles est mise en relief la formule: JE SUIS CHARLIE.
Ainsi le nom propre Charlie (Hebdo) est devenu antonomase (cf. billet 74) du combattant de la liberté d'expression. Quant au slogan, je ne sais comment il est perçu actuellement. Il fut un temps où, sur le Net, foisonnèrent mille arguments (cf. billet 327) en faveur de la liberté et de la démocratie. La tragédie était peu commune certes, mais comment va-t-elle se diluer?
La manière immédiate de récupérer les événements, de les présenter et d'en créer une formule convenue afin d'organiser une grande manifestation passe outre souvent à la compréhension lente de la situation, sinon par des Français "de souche" du moins par des francophones étrangers ou des Français immigrés dont la langue est d'adoption.
La langue appartient à tous ceux qui l'utilisent. Le droit de comprendre le français et de l'interpréter ne doit pas appartenir seulement aux Français "de souche". Je me rappelle une petite discussion que j'ai eue avec un vieil ami, Guillaume M, professeur d'histoire-géographie en Guadeloupe, que je connais depuis une trentaine d'années.
À propos du journal «bête et méchant», Hara-kiri, qui avait précédé Charlie Hebdo, au début des années 60, et au sujet duquel j'avais exprimé une aversion dans mon billet intitulé «Suis-je Charlie?» (cf. 314), mon jeune ami m'a donné ce petit commentaire: «Votre interprétation de "Hara Kiri" n'est pas à prendre au sens oriental du terme, mais bien dans son acceptation française popularisée au sens de "tout faire exploser", (...). Hara Kiri, ce fut faire exploser la censure, exploser le ministère de l'information, le contrôle des mœurs ... Ces gens ont créé les moyens d'une liberté d'expression que nous sommes en train de perdre aujourd'hui, faute de l'utiliser. (...).
Oui, sans doute, mon cher ami. Il voulait me faire comprendre gentiment comment "interpréter" Hara-Kiri, mot francisé d'origine japonaise.
François Cavanna, inégalé comme conteur, fut un de mes auteurs favoris. J'apprécie son style familier, rapide et distingué dans Les Ritals, Les Russkoffs, L'Œil du lapin, etc. Le choix du mot "Hara-kiri" pour son journal n'est pas de sa faute mais de celle de la langue française dont les tenants pensent impunément offusquer les autres. La manie de snober porte parfois sur leurs compatriotes.
Les habitants de Limoges n'aiment pas entendre prononcer le verbe limoger. Et pour cause. L'étymologie du verbe vient de l'affectation dans cette garnison en 1914 de généraux incapables. L'autorité militaire aurait pensé que la ville, bien abritée à l'intérieur du pays, pouvait être défendue par des incompétents dont l'action au front faisait obstacle à la bonne conduite de la guerre. Il est étonnant à mes yeux que ce genre de mot ne soit pas d'un emploi argotique mais d'un usage courant, figurant même dans le dictionnaire, malgré le mécontentement manifeste des gens du lieu.
La langue envisagée sous un unique point de vue et appuyée sur l'accent insolent, coupée du sentiment du peuple, me semble vouée non pas à l'universalité mais à la régression sans fin.
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La France s'est formée, sans épuration sinon religieuse (cf. billet 328) au moins ethnique. L'Europe longtemps barbare au haut moyen âge doit beaucoup à l'Orient musulman, plus cultivé. Les sciences grecques n'auraient pas été transmises en Europe sans passer par l'Orient. Ce sont les Arabes qui ont préparé la Renaissance européenne.
Benim Adım Kırmızı «Mon nom est Rouge» (1998, Istanbul) par Orhan Pamuk (1952-, premier lauréat turc du prix Nobel de la littérature 2006) fait état de l'antipathie mêlée d'attirance de la part d'Orient pour l'Occident, reflétée dans la tradition de la miniature islamique du XVIe siècle. Un Umberto Eco turc. (Fin pour Repenser Charlie Hebdo)