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Philologie d'Orient et d'Occident
7 juillet 2015

Repenser Charlie Hebdo (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (328) Le 07/07/2015    Tokyo K.   

  Repenser Charlie Hebdo (4)

Charlemagne et les Musulmans

001078

Petites aubergines par Misao Wada (cousu main)

 

   Un chapitre de Tristes Tropiques (Claude Lévi-Strauss, Plon, 1955) porte sur Taxila, ville religieuse, capitale du royaume Gandhara en Inde ancienne qui exista à partir du VIe siècle avant J. C., prospère sous la dynastie bouddhique Kushan, détruite au Ve siècle par les Huns. Taxila vient du sanskrit Taksha-silâ: "tailleur de pierre".

   C'est là que «pendant quelques siècles, trois des plus grandes traditions spirituelles de l'Ancien Monde ont vécu côte à côte: hellénisme, hindouisme, bouddhisme» (op. cit, p. 474). Les trois anciennes traditions, mutuellement tolérantes, ont pu coexister. Même après son invasion par l'islam, dans la contrée, se sont perpétuées les influences des trois civilisations. L'islam, selon Amin Maalouf, membre de l'Académie succédant à Lévi-Strauss, fut longtemps tolérant avec les autres religions (cf. Les Identités meurtrières, Grasset, 1998).

   Au Japon, le premier contact avec la nouvelle idée religieuse se fit avant le VIe siècle, date officielle de l'introduction du bouddhisme. Les Mononobe, vieux clan militaro-religieux au service de culte shintoïste, hostile au bouddhisme (cf. billet 296), succombèrent devant le clan Soga depuis longtemps connu pour son adhésion à la nouvelle religion du continent.

   Or, au milieu du VIIe siècle, le chef des Soga, insolemment puissant, a été assassiné par le futur empereur Tenchi (cf. billet 287) et son fidèle Kamatari, ce dernier issu d'un petit clan shintoïste: Nakatomi. La famille Nakatomi, promue, fut à l'origine du clan Fujiwara dont les descendants, comme parents de la famille impériale, ont dominé l'empire pendant quatre siècles au cours de l'âge Heian, du VIIIe au XIIe siècle.

   Le shintoïsme, affaibli par les poussées bouddhistes, sut néanmoins se maintenir dans des sites clés de l'empire. Dans le pays où la divinité se conçoit comme une volonté de la Nature, les élucubrations dogmatiques ne passionnaient guère le peuple. Qu'il soit shintoïste, naturaliste ou bouddhiste, un sentiment primitif et simple était aux fondements de l'idéologie impériale.

   L'entreprise d'évangélisation du Japon, entamée à partir du XVIe siècle, fit long feu. Les missionnaires occidentaux ne se rendaient pas compte que l'archipel était déjà vieux de mille ans d'expérience en la matière. Bonzes et prêtres shintoïstes ne chômaient pas. La ville n'était pas propice au recrutement des adeptes. Le prosélytisme des missions catholiques n'eut pour résultat que de produire un grand nombre de martyrs en province.

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   Pour Charlemagne, stratège de génie, le christianisme n'était pas ce qu'était le bouddhisme pour un empereur japonais du VIIIe siècle: Shômu 聖武 "saint et preux", simple et sans panache. Après son couronnement à Rome en 800, Charlemagne raréfia enfin ses actions militaires. «En quarante-six années de règne, il fit cinquante-trois campagnes». (Jean Duché: Histoire de France racontée à Juliette, Presses Pocket, 1954, t. 1, p. 123, cf. billet 317).  Zélé, certes, Charlemagne travaillait méthodiquement à la construction de l'Europe chrétienne qui commençait à s'ébaucher.

   Méthodique, il fut en même temps un massacreur des infidèles, "ennemis de Dieu": «Chacune de ses conquêtes, (...), avait eu le caractère d'une croisade: les prêtres accompagnaient toujours les soldats, en grand nombre.» (Georges Bordonove, Charlemagne, éd. Pygmalion, 1989, p. 264). Son zèle était proche de celui des premiers Musulmans.

   Charlemagne ne fut même pas Français, car la France n'existait pas encore. Il ne parlait pas roman mais un dialecte germanique. L'Europe chrétienne se formait. «À partir de 800, les guerres de conquête prirent fin; la politique extérieure de Charlemagne fut uniquement défensive. » (ibid. p. 264).

   Ses marches à défendre: le nord de l'Espagne menacé par les Maures (Musulmans) et la Méditerranée infestée par les pirates arabes. Ses vrais ennemis étaient les Musulmans de l'émirat de Cordoue, Omeyyade. Haroun al-Rachid de Bagdad, le plus grand des califes Abbassides sunnites, était un allié et un ami de Charlemagne: «... il était de l'intérêt d'Haroun de conserver l'amitié de Charlemagne. Le califat de Bagdad était affaibli par la dissidence des Maures d'Espagne, et l'Empire de Byzance était son voisin. (...) Ils avaient (...) l'émir de Cordoue pour ennemi commun. (...) Haroun jouait Charlemagne contre l'émir rebelle; Charlemagne jouait Haroun contre Byzance» (ibid. p. 287)

   Charlemagne et le calife étaient donc alliés contre un ennemi commun. Plus tard, une alliance de la même nature sera conclue entre la France (François 1er) et l'empire ottoman (Soliman le Magnifique) contre le Saint Empire (Charles Quint).   (À suivre).

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