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Philologie d'Orient et d'Occident
20 août 2013

Le Tôhoku (13) Instances d'écriture (3)

Philologie d'Orient et d'Occident (241)

                                Le 20/08/2013, Tokyo    K.

                        Histoire et instances d'écriture (3)   Le Tôhoku (13)

 

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                                Cahier de travail de Misao Wada

 

      Au IXe siècle, la ligne de démarcation n'était toujours pas nette entre ce qu'on appelait Nippon (Nihon) ou Yamato et le territoire actuel de Tohoku, même vers la fin de la première moitié de l'époque Heian (de la fin du VIIIe à la fin du XIIe siècle). N'en étaient pas conscients les gens du centre, c'est-à-dire, les habitants de Kinai 畿内 (région centrale où se trouvent actuellement Nara, Kyoto et Ôsaka: anciennement Yamato 大和, Yamashiro 山城, kawachi 河内, Izumi 和泉 et Settsu 摂津: provinces où se déplaçaient traditionnellement, à tour de rôle, les palais impériaux).

    Selon Nihon-Shoki (cf. billet 135), la première des Six Chroniques officielles (Rikkokushi), la flotte d'un général de l'empire, Abe-no Hirafu, homme d'armes du milieu du VIIe siècle, s'aventura par la Mer Intérieure du Japon jusqu'au sud de Hokkaidô, tout en se familiarisant avec ceux qui ne lui opposaient pas d'obstacle ou en soumettant par force les indigènes rebelles du nord. Mais son «exploration» plutôt que «conquête» n'aurait pas eu de suites un tant soit peu consistantes. Elle s'avéra en quelque sorte épisodique. Après cette expédition donnée en mission par l'insondable impératrice Saimei (594-661, règne 655-661), aucun renouvellement vraiment durable des rapports entre les deux régions de l'archipel ne fut signalé.

   Les gens de Kinai avaient introduit de Chine, en la faisant parfaitement leur, la conception du Pays du Milieu d'après laquelle les hommes subsistant loin de la capitale étaient tous plus ou moins barbares, surtout ceux qui ne parlaient pas la langue du centre. Hoku-teki 北狄 «hostiles du nord», Nam-ban 南蛮 «barbares du sud», Sei-jyû 西戎 «brutes de l'ouest», Tô-i 東夷 «sauvages de l'est» : telle est la devise de l'idéologie centralisatrice et xénophobe de l'empire.

   Les «sauvages» du nord-est habitaient originellement presque toute l'étendue de l'archipel avant l'arrivée massive des immigrants continentaux (cf. billet 167), d'abord dans le nord de Kyûshû et ensuite dans le centre. Ces derniers étaient adhérents au système impérial chinois. Évitant le contact avec les nouveau-venus, des colons, militaires et sédentaires, les autochtones chasseurs-cueilleurs, arpenteurs de montagnes, en particuliers les Aïnou, ont reflué vers le nord-est de l'archipel. Les Aïnou étaient par excellence des «sauvages de l'est».

   La fonction militaire Seiï-Daishôgun «général en chef, dompteur des sauvages (de l'est)» était créée au VIIIe siècle. Le nom ne manque pas de m'évoquer une ville de la Russie impériale, sur la Mer du Japon, Vladi-Vostok «dompter l'est», fondée en 1860, une  quarantaine d'années avant l'engagement des hostilités russo-japonaises (1904). Le premier exercice effectif de Seiï-Daishôgun fut réalisé en 801 par Sakanoue-no Tamuramaro (758-811) qui marqua sa première victoire dans une petite bataille contre les «barbares du nord-est» dont la nouvelle sembla mériter d'être rapportée à la cour impériale.

   Le titre «dompteur des barbares de l'est» ferait état de quelques réalités importantes: tout d'abord il s'agit du titre qui, pendant près de 680 ans, depuis le commencement du gouvernement militaire de Kamakura (fin du XIIe siècle) jusqu'à la fin de l'époque d'Édo (1868), fut porté par le détenteur réel du pouvoir politique et militaire du pays. Le titre «dompteur des barbares de l'est» dura donc aussi longtemps que le préjugé qui l'accompagnait: son détenteur était supposé hostile au peuple de l'est. Et cela continua même après l'extension du pays jusqu'au sud des îles Kouriles. Les petits et les grands du nord-est, toujours ignorant ce que la formule signifiait étymologiquement, connaissaient toujours par cœur la date de l'exploit en 801 perpétré sur leur sol par le général «dompteur des barbares de l'est».   

   Par la création paradoxale du titre «dompteur (des barbares) de l'est», on peut constater aussi que la condition dans la frontière nord de l'empire, malgré les adoucissements, conciliations ou menaces prodigués par le général du centre qu'était Abe-no Hirafu, n'avait pas beaucoup évolué. Au delà des pays de Dewa (départements actuels Akita et Yamagata) et de Mutsu (dépt. actuel Iwate), les habitants «barbares» n'étaient pas du tout soumis aux hommes du centre. (À suivre).

 

 

 

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