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Philologie d'Orient et d'Occident
27 août 2013

Le Tôhoku (14) - Aux confins de l'empire

 

Philologie d'Orient et d'Occident (242)

 Le 27/08/2013, Tokyo    K.

Aux confins de l'empire - Le Tôhoku (14)

                                       DSC_0007

                                            Dragon par Misao Wada

 

   Une énorme coulée de lave produite de l'éruption du volcan Towada en 915 avait recouvert une grande partie du nord de Tôhoku (cf. billet 240). Selon le vulcanologue Yukio Hayakawa: «L'éruption du volcan Towada (M. 5.6) en 915 produisit des plus grandes coulées pyroclastiques, solidifiées en une vaste nappe d'ignimbrites» (traduction de l'anglais par K.) (Catalog of volcanic eruptions during the past 2000 years in Japan, Journal of Geography 108 (4), 1999, en ligne: hayakawayukio.jp/catalog/2k/9906/text.html).

  Les pierres ponces trouvées en masse aux environs de ma maison natale n'étaient donc que ces ignimbrites provenant du volcan Towada au début du Xe siècle. Une très brève allusion à la catastrophe sismique dans le Fusô-ryakuki (une demi-ligne. cf. billet 240) s'expliquerait par cette raison évidente que le Sandai-Jitsuroku, la dernière des six chroniques officielles Rikkokushi et la plus complète des annales, avait été accomplie en 901 bien avant l'éruption dans le nord du Tôhoku. Il faut d'ailleurs souligner que la région du lac Towada, alors censée se situer en dehors de l'empire, n'était pas encore incorporée au territoire impérial.

  Pour mériter le nom d'empereur, les premiers souverains historiques, non-légendaires, de l'empire naissant tâchaient depuis le VIIe siècle d'étendre au delà des cinq pays proches: Goki (= Kinaï, cf. billet 241), leur territoire d'abord en direction du sud vers Kyûshû et vers la péninsule Coréenne. Ils convoitaient en même temps le nord-est de l'archipel et s'efforçaient de faire participer leur contingent à la conquête des «sauvages» de Tôhoku. Soumettre les frontières, a priori barbares, et étendre au maximum les conquêtes, voilà deux devises impériales.

 L'empire se faisait appeler Yamato, écrit 大和. Il n'est cependant pas clair que ce nom Yamato fût étymologiquement lié avec Yamatai, appellation chinoise appliquée à un état extrêmement puissant, situé dès le deuxième siècle dans le sud-ouest de l'archipel, ou à Yamato, nom d'une des cinq provinces centrales (Kinaï) de l'empire. Nippon ou Nihon, nom couramment pratiqué au lieu de Yamato depuis la reprise des relations amicales nippo-chinoises, aux environs de la Restauration de Taika (en 645) sous le futur empereur Tenchi (626-672), est une lecture chinoise de 日本, deux kanji: «origine de Soleil , origine du jour ». Signifiant également «l'est», le signe chinois se lisait Yamato ou Nippon (ou Nihon) à la chinoise. C'est la dernière lecture qui s'imposa finalement.

  L'appellation de Japon n'est donc pas originaire de l'archipel mais du continent, au nord-est duquel se situent nos îles. L'étymologie du nom de Japon n'est ni des insulaires et ni des barbares, mais des continentaux civilisés de l'empire du Milieu.

  Ce schéma chinois du centre (gens du Milieu) contre les confins (barbares) fut transposé tel quel dans l'archipel nippon. La barbarie devait s'accentuer au fur et à mesure qu'on s'éloignait du centre. Plus proches des capitales, c'est-à-dire, de Nara ou de Kyôto, on était mieux nés, mieux lotis, mieux protégés.

  Pour coloniser les provinces «barbares», on envoya d'abord sur les lieux des groupes de colons indigents, ensuite, des troupes de recrues sinon pour protéger les colons au moins pour les aider à s'organiser au besoin contre les sauvages de province: araignées de terre partout, ours montres de Wakayama (Koji-ki), géants troglodytes de Shinano (Nagano actuel), hommes bifrons de Hida (sukuna - à deux visages -, on ignore à quoi ça tient. cf. billet 144), dragons d'Iwami. Les Namahage, poilus-chevelus de Tôhoku (cf. billet 228), ne sont-ils pas de rares survivants de ces primitifs injustement dénommés?

  La diabolisation, par les gens du centre, des habitants aux confins, phénomène si fréquent dans l'Histoire, donna naissance à toute une gamme de qualificatifs moqueurs ou dépréciatifs à outrance des hommes de la frontière dont le moindre signe, sinon de révolte au moins d'insoumission, servit de prétexte pour des ingérences musclées ou des exactions irraisonnées de la part de l'empire. Ainsi procéda la conquête du Japon.

  Pendant deux cents ans à partir du milieu du VIIe siècle, la frontière entre l'empire et les pays du nord-est fut indécise. Le Tôhoku n'était pas encore japonais. (À suivre)

 

 

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