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Philologie d'Orient et d'Occident
30 octobre 2021

Reflets métalliques à Sannaï (fin)

Philologie d'Orient et d'Occident (486): le 30/10, 21 Tokyo, Kudo.S.

Ce qui distingue le site Sannaï-Maruyama d'autres sites aussi anciens

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 Kuro-himé "Princesse noire" (mont près d'un site de l'âge Jômon) (photo par Mme K. Ikéda. 2021)

 

   Dans nos derniers billets (482, 483, 484, 485), nous avons remarqué qu’il n'y avait, sur le site de Sannaï-Maruyama, aucune trace d’utilisation des métaux ordinaires, tels le cuivre, l’airain, le bronze ou le fer (ou l’argent et l’or si on veut encore les ajouter à cette liste). Or, on sait qu’ailleurs dans le monde à la même époque (vers 4500 ans B. P.), l’Égypte pharaonique, la Grèce et la Crète mycéniennes connaissaient diverses techniques de fonte et de fabrication des objets métalliques.

  L’Égypte ancienne a pu exploiter ce que produisait et exportait l’île de Chypre, alors riche en bon bois et en cuivre, permettant aux pays voisins de transformer ce dernier minerai en étain, en bronze ou, le cas échéant, en fer de fonte. Mais les ressources en fer météorique, si abondante eussent-elles été en Égypte, n’auraient pas suffi pour rivaliser avec le puissant empire hittite, précurseur de loin en métallurgie.

  Le forgeron de la Grèce mycénienne, estimé dans sa technique, avait droit à être exempté de l'impôt qui devait être payé, faute de système monétaire, en produits de leur travail (élevage ou agriculture), de sorte qu’il pût s’en acquitter en nature, c’est-à-dire, de ses propres ouvrages métalliques.

  Loin de ces anciens pays de civilisation d’Occident, Sannaï-Maruyama, même partageant la proximité chronologique, vivait dans une altérité totale, comme s'il se trouvait sur une autre planète. Chose extrêmement rare, cette société a pu exister durant une période démesurément longue (1500 ans), sans incident majeur, par rapport aux autres sociétés antiques du reste du monde.

  La quasi-impossibilité du phénomène de Sannaï-Maruyama est évidente quand on a sous les yeux un passage d'Émile Benveniste rendant compte de la conception de la guerre et de la paix dans la société antique : « Le rapport entre l’état de paix et l’état de guerre est, d’autrefois à aujourd’hui, exactement inverse. La paix est pour nous l’état normal, que vient briser une guerre ; pour les anciens, l’état normal est l’état de guerre, auquel vient mettre fin une paix. […] la paix intervient comme la solution parfois accidentelle, souvent temporaire, de conflits quasi-permanents entre villes ou États. »  (Émile Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes. Les éditions de minuit, t. II, 1969, p.368) cité par Isabelle Klock-Fontanille dans son Les Hittites (la collection Que sais-je, 1998).

   Il semble que la cité antique du Japon nordique ait connu une situation radicalement opposée à cet Occident. Les conflits armés absents, il ne s’agissait donc pas de se défendre contre les ennemis internes ou externes qui n’existaient pas. Sur ce point, la situation des anciens habitants du Japon diffère totalement de celle des Mycéniens qui, malgré une paix relative, se seraient de tout temps sentis menacés par des envahisseurs potentiels qui viendraient de la mer (cf. John Chadwick, The Mycenaean World, Cambridge Univ. Press, 1976).  

  L’observation claire et intelligente du linguiste français nous fait voir que l’état ordinaire (en guerre) des  civilisations occidentales reflète paradoxalement l’état extraordinaire (en paix) d’un pays d'Extrême-Orient.

  Sur le site, le fer de fonte n’y aurait pas laissé aucune trace mais l’existence du minerai de fer, comme nous avons vu dans le billet 485, a été bien constatée. Nous nous sommes expliqué la raison pour laquelle le minerai de fer n’a pas été abouti comme il le fut en Occident ou peut-être aussi en Chine antique. On commence alors à voir effectivement quelle avait été la vraie occupation des anciens habitants du site.

  Leur souci majeur n’était pas de subsister tant bien que mal, puisqu’ils n’étaient pas menacés par les ennemis. Leur principale mission était de rendre hommage à leurs ancêtres. Le site Sannaï-Maruyama était construit sur les mânes des anciens. Au centre de la cité s’entassaient en étages, bien rangés d’ailleurs, les tombeaux des adultes et des enfants. Nos anciens savaient vivre en harmonie avec les morts.

  Il y a donc belle lurette que le terrain fut transformé en un immense cimetière. C’est sous ce titre que le sanctuaire des Jômon fut connu des descendants des Yayoï, fondateurs du système impérial. La préfecture moderne, quoiqu'elle fût bien consciente de l’existence de ces trésors préhistoriques en ces lieux, venait de projeter la construction sur ce cimetière d'un stade de baseball, sport d’origine américaine. Les importantes fouilles archéologiques, cruciales, sont intervenues juste à temps pour empêcher que la dégradation morale et sociale raye de la carte un site exceptionnel (fin des Reflets métalliques de Sannaï-Maruyama).

(À suivre)

 

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