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Philologie d'Orient et d'Occident
2 décembre 2023

Sceptre grec et skêpanion troyen

Philologie d'Orient et d'Occident (516)   Le 26/12 2023     S. Kudo

Sceptre (σκηπτρον) grec et skêpanion (σκηπάνιον) troyen dans le langage d’Homère

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        Onze homérisants (le 07/10/23, Tokyo, photo par B. M.)

 

  Le skêptron est chez Homère l’attribut du roi, des hérauts, des messagers, des juges, tous personnages qui, par nature et par occasion, sont revêtus d’autorité. On passe le skêptron à l’orateur avant qu’il commence son discours et pour lui permettre de parler avec autorité, dit Émile Benveniste dans son Vocabulaire des institutions indo-européennes (Éditions de Minuit. 1969, t. 1, p. 30).

  Benveniste poursuit. Le < sceptre > en soi, est un bâton, le bâton du voyageur, du mendiant. Il devient auguste quand il est aux mains d’un personnage royal, tel le sceptre d’Agamemnon à propos duquel le poète énumère tous ceux ce qui se le sont transmis, en remontant jusqu’à Zeus. (…) on ne l’appelait pas skêptron, mais dόru < bois > (…) C’était donc un bâton long, un bois de lance. (ibid.). C’est ce fruste bois que détient le roi "σκεπτοῦχος" et qu’Achille rejeta par terre dans son accès de colère. Iliade chant I, v. 234)

   (ναὶ μὰ) τόδε σκῆπτρον, τὸ μὲν οὔ ποτε φύλλα καὶ ὄζους                      (v. 234)

    φύσει, ἐπεὶ δὴ πρῶτα τομὴν ἐν ὄρεσσι λέλοιπεν,                                   (v. 235)
    οὐδ᾽ ἀναθηλήσει· περὶ γάρ ῥά ἑ χαλκὸς ἔλεψε                                     (v. 236)

    φύλλά τε καὶ φλοιόν·  (...)                                                                (v. 237)

 (ce sceptre, il ne fera plus naître ni feuilles ni rejets, puisqu’il a laissé sur les montagnes le tronc coupé qui ne refleurira plus, car le bronze en a enlevé les feuilles et l’écorce - tr. K.)

  Par ces actes, Achille abandonne la lutte et se retire de la bataille. Du coup il devra s’abstenir de tous les pouvoirs que lui conférait le sceptre et risquer de perdre le γέρας, privilège habituel du héros.

  On peut constater dans les deux œuvres d’Homère que le sceptre, attribut du roi (le détenteur est appelé parfois σχηπτοῦχος «porteur d’un sceptre»), des juges ou des hérauts, est plus fréquent dans l’Iliade que dans l’Odyssée dans laquelle il s'agit plutôt du sceptre du voyageur ou du mendiant.

  Neutre, le terme se présente le plus souvent au cas oblique, à l’accusatif, au datif plutôt qu’au nominatif. Voici une petite statistique du mot sceptre dans l’Iliade. 25 fois au singulier dont la répartition casuelle : 2 fois au nominatif, 1 fois au génitif, 8 fois au datif (dit de moyen), 14 fois à l’accusatif. On voit donc que l’emploi à l’accusatif et au datif prime sur tous les autres cas. Généralement, l’emploi d’un mot neutre pour le nominatif n’est pas fréquent dans les langues indo-européennes. À ces occurrences il faut ajouter deux exemples du pluriel (skêptra) qui ne peuvent être que rhétoriques, ou du pluriel distributif comme on en voit dans les cas du bâton du héraut d’une assemblée qui permet aux hommes de prendre la parole.

  On devine aisément l’étymologie de σκῆπτρον dans le verbe σκήπτω (appuyer). Le bâton d’appui qui aide à  bien marcher à l’origine. Le sens de bâton s’est donc précisé selon deux domaines, le concret et l'abstrait, soit comme appui, arme pour frapper ou de se défendre, soit comme signe d’autorité comme en a le roi, le juge ou le héraut, ce dernier comme porteur ou modérateur de la parole. Dans l’Odyssée, le sens du concret l’emporte sur l’abstrait et rituel qui se voit dans le sceptre d’Agamemnon.

  Le bâton dont se munit Priam n’est pas sceptre, mais skêpanion. Les deux mots viennent évidemment du verbe skêptô. Les deux mots disposant de la même étymologie (σκήπτω appuyer), l’écart entre les deux n’est pas négligeable. Le sceptre venant de Zeus, le skêpanion semble avoir affaire avec le dieu ennemi des Achéans, Poseidon, ami des Troyens, persécuteur acharné d’Ulysse durant son difficile périple de retour pour sa patrie, alors que Zeus, son frère, favorise les Grecs.

  Bailly, dans son Dictionnaire grec-français, met l'accent sur deux protagonistes, possesseurs de skêpanion, Poseidon et le vieux roi Priam; le premier est représenté dans Iliade, chant 13, v. 59  : (disant ainsi, de son bâton, …celui qui embrasse et ébranle la terre …), le second dans Iliade, chant 24, v.247 : (il dit et, de son bâton, chassait les hommes.)

  Les deux termes, sceptre et skêpanion, distinguent le monde grec du monde troyen. Dans la société antique grecque, le sceptre fut l’insigne évident, comparable à la couronne royale, alors que dans la société troyenne, le skêpanion n’avait pas cette vertu. Selon Benveniste : pour les Indo-Iraniens, le roi est un dieu : il n’a pas à être légitimé par un insigne tel que le sceptre. Mais le roi homérique, lui, n’est qu’un homme, qui ne tient de Zeus sa qualification et les attributs qui la révèlent (Vocabulaire des institutions indo-européennes, op. cit., p. 32). Le savant français ne dit rien du terme skêpanion.  (À suivre)

 

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