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Philologie d'Orient et d'Occident
7 mai 2013

Yoshimoto Ryûmei (9) Problèmes de traduction (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (226)

                                      Le 07/05/2013, Tokyo     K.

Yoshimoto Ryûmei, philosophe de la langue (09)

Problèmes de traduction (2)

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                     Coquillage par Misao Wada (cousu main)

 

   Yoshimoto Ryûmei parvenait à se doter de: 意味 imi «signification», 価値 katchi «valeur» et «image», trois concepts, outils de travail, pour traiter le problème qu'il s'était posé à lui-même: «Qu'est-ce que la beauté pour la langue» (cf. billet 225).

   Le concept imi «signification» était étroitement en rapport avec une partie constituante de la langue: 指示表出 shiji-hyôshutu «expression démonstrative», le katchi avec 自己表出 jiko-hyôshutu «expression subjective ou de soi» (Selbstausdrückung). Son concept de , «image» qui surgirait au contact auditif ou visuel d'un mot, qu'il soit pronom, substantif, adjectif ou verbe, n'a rien à voir avec l'«image acoustique» saussurienne, c'est-à-dire, «signifiant», support physique (phonique) d'un mot. Selon Yoshimoto, les mots à «expression subjective» tels, auxiliaires, particules ou interjectifs, n'ont pas d'«image».

   Sa conception du terme clé 価値 katchi, le plus important de ses trois concepts de travail, mis en rapport avec une de ses deux constituantes de la langue: expression subjective (Selbstausdrückung), diffère grandement de celle de Saussure. Yoshimoto cite, du Cours, le passage de la «valeur»:

   Elles [les valeurs] sont toujours constituées:par une chose dissemblable susceptible d'être échangée contre celle dont la valeur est à déterminer;par des choses similaires qu'on peut comparer avec celle dont la valeur est en cause. Ces deux facteurs sont nécessaires pour l'existence d'une valeur. Ainsi pour déterminer ce que vaut une pièce de cinq francs, il faut savoir: 1° qu'on peut l'échanger contre une quantité déterminée d'une chose différente, par exemple du pain: 2° qu'on peut la comparer avec une valeur similaire du même système, par exemple une pièce d'un franc, ou avec une monnaie d'un autre système (un dollar, etc.). De même un mot peut être échangé contre quelque chose de dissemblable: une idée; en outre, il peut être comparé avec quelque chose de même nature: un autre mot. [...] Faisant partie d'un système, il [le mot] est revêtu, non seulement d'une signification, mais aussi et surtout d'une valeur, et c'est tout autre chose. (Cours, Payot, Paris, 1960, p. 159)

   Par ces propos mathématiques de Saussure, on voit que la «valeur» saussurienne n'est pas du tout ce que rend son homologue japonais-chinois 価値 katchi. L'ensemble des deux kanji: et n'est pas libéré de leur étymologie: «prix affiché à la marchandise», alors que l'origine du mot «valeur» n'avait aucun rapport avec le prix des choses. La valeur (lat. valor, it. valore, esp. valor) signifiait en Occident une souveraineté, un pouvoir non réductible en signe tel que «prix». L'inanité de la traduction y est patente.

   La «valeur» saussurienne consiste donc: 1° dans la permutabilité avec une chose dissemblable; 2° dans la comparabilité avec une chose similaire. Après avoir illustré la «valeur» par quelques exemples lexicaux et pour mieux rendre compte de la «valeur», Saussure a recours à une entité grammaticale:

        [...] la valeur d'un pluriel français ne recouvre pas celle d'un pluriel sanscrit, (...): c'est que le sanscrit possède trois nombres au lieu de deux (mes yeux, mes oreilles, [...] seraient au duel); il serait inexact d'attribuer la même valeur au pluriel en sanscrit et en français, puisque le sanscrit ne peut pas employer le pluriel dans tous les cas où il est de règle en français; sa valeur dépend donc bien de ce qui est en dehors et autour de lui. (ibid. p. 161)

   Or, incapable de comprendre la «valeur» saussurienne mise en lien avec un cadre grammatical, Yoshimoto la résume: «En bref, Saussure voit la valeur de la langue comme une signification amplifiée [imi-no-fukumi: connotations d'une signification]» (Gengo-ni-totte..., Tokyo, Keiso-shobô, 1972, p. 79). Faisant une comparaison, du point de vue de «valeur», entre deux phrases japonaises, l'une démunie de qualificatif, l'autre qui en est amplifiée, Yoshimoto conclut que la dernière, enrichie, a plus de «valeur» que la première, dépourvue du qualificatif. Il se méprend donc totalement sur le sens de la «valeur» saussurienne où il s'agit non pas de la signification amplifiée mais de la compétence à occuper une position déterminée dans un système. (À suivre).

 

 

 

 

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