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Philologie d'Orient et d'Occident
14 mai 2013

Yoshimoto Ryûmei (10) Ryûmei et Shin'itchirô

 

Philologie d'Orient et d'Occident (227)

                                      Le 14/05/2013, Tokyo     K.

Yoshimoto Ryûmei, philosophe de la langue (10)

Problèmes de traduction (3)  Ryûmei et Shin'ichirô

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                             «Combat entre Dragon et Prince» par Misao Wada (cousu main)

   Le président de l'université où a été admis comme étudiant en philologie l'auteur du présent article, il y a plus d'un demi-siècle, se nommait Tomonaga Shin'ichirô (1906-1979), physicien pacifiste, prix Nobel en 1965. C'était un homme simple, calme, d'une grâce orientale, une figure noble. La famille Tomonaga serait originaire de Kyûshû, du département de Nagasaki, voisinant au nord-est avec celui de Kumamoto (Amakusa), pays d'origine de la famille Yoshimoto.

   Tomonaga craignait que l'émulation effrénée russo-américaine n'aboutît finalement à recourir aux armes nucléaires. Il ne put pourtant flairer le danger d'un sinistre aussi énorme que celui de Fukushima en 2011, qui survint plus de 30 ans après sa mort.

   Génie de la physique pure, il voulait absolument se démarquer des intrigues commerciales et affairistes que rendait possibles le nucléaire et qui étaient en voie de se réaliser avec la participation des hommes politiques élus. Tout en redoutant que la technologie nucléaire ne s'acheminât vers son utilisation dans les conflits internationaux, Tomonaga minimisait le danger non moins grand que causerait l'emploi dit pacifique de la technologie: les déchets nucléaires, produits inévitables des centrales, dont le traitement reste toujours sans solution. Tomonaga est mort avant Tchernobyl. La réalité politique dépassait ses prévisions.

  Yoshimoto Ryûmei s'est montré tranquille, plutôt soulagé du résultat des sondages des media (voir Yume-Muck «Adieu, Yoshimoto», Tokyo, Kawade, 05/2012, p. 14). Dans une enquête pratiquée par la radio NHK (cf. billet 117), une dizaine de jours après le désastre de Fukushima, auprès de cinq centaines de réfugiés, sur l'éventualité de continuer à produire de l'électricité d'origine nucléaire, le résultat rendu public le 25 mars 2011 au matin m'avait sidéré: 53 % pour, 47 % contre.

   Ce résultat me fit soupçonner une volonté tacite de la part de l'autorité à laquelle nos media avaient coutume de se soumettre. Yoshimoto, monolingue et ancien chouchou des media ne semblait pas du tout imaginer que le résultat n'eût été organisé, voire, orienté. Notre gouvernement et notre société industrielle étaient effarés à l'idée de la carence énergétique dont le danger imminent était exagéré par la TEPCO (Tokyo Electric Power Company).

   Mais d'où sont venus certains aspects du manque d'imagination de Yoshimoto? Son implication poussée dans les intérêts matériels de la société moderne dont l'essentiel réside dans le gain et les bénéfices finit par constituer en lui un monolithisme de valeurs lié à son monolinguisme ainsi qu'à sa dépendance de la traduction.

   Yoshimoto était situé aux antipodes de Tomonaga dont l'idée, compatissante avec les démunis, donc nécessairement sympathisante avec de futurs sinistrés de Fukushima, était pourvue de plusieurs issues libérales. Ce dernier pratiquait, outre sa langue maternelle, au moins deux langues d'Occident: allemand et anglais, alors que l'ancien chimiste se murait dans son éloquence monolingue où, siégeant là où lui seul avait raison, il pouvait jubiler seul dans son esthétique. En faisant fi de la diversité linguistique, c'est-à-dire, de la pluralité de visions du monde, il aboutit à l'arrogance nucléaire.

   Dans un recueil de ses propos (Le feu de Prométhée, Tokyo, Misuzu-shobô, 2012, p. 200-201), Tomonaga nous mettait en garde contre les dangers éventuels liés à la difficulté de traitement des déchets et, surtout aux séismes, particulièrement fréquents dans ce pays (cf. billet 125). Sa principale inquiétude était, cependant, à l'époque où les centrales commerciales n'étaient qu'à peine sur pied, centrée sur les armes nucléaires, pour l'abolition desquelles il s'échinait avec ses amis à créer un organe international. Yoshimoto, critique de ce mouvement, finit par reprocher à ces prudents anti-nucléaires d'être trop hostiles aux États-Unis et indulgents pour l'URRS.

   Tomonaga hésitait entre les trois avenirs qui se contredisaient l'un l'autre: poursuivre ses recherches en physique, abolir les armes nucléaires ou améliorer par le nucléaire le pauvre état des lieux du pays. Devenu l'un des responsables du pays, il opta finalement pour le dernier qui lui semblait le moins pire et le plus réaliste, auquel le philosophe monolingue pensait, de son côté, pouvoir s'accommoder à tout jamais.  (Fin pour Yoshimoto Ryûmei).

 

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