Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Philologie d'Orient et d'Occident
24 novembre 2010

Villeparisis, faux nom aristocratique

Philologie d'Orient et d'Occident (82)
                              Le 24/11/2010, Tokyo        K.

                    Villeparisis, faux nom aristocratique
                                          Proust (16)

    La princesse de Parme, qui faisait tant rêver le Narrateur de la ville italienne douce, mauve et accueillante, se révéla, en réalité, une petite femme noire, d'une amabilité humble mais d'une humilité royale (cf. billet 1). La princesse de Sherbatoff, russe, encline au mutisme, amie de la grande duchesse Eudoxie, faisait songer au prime abord à une « tenancière de grande maison de filles » (A la recherche du temps perdu, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade » 1954, t. 2, p. 858). Leurs existences contrastent avec l'aristocratie française, dotée d'un toponyme français, symbolisée par les Guermantes.

     « J'avais été frappé en apprenant [par M. de Charlus, un Guermantes] que le nom de Villeparisis était faux.» (op. cit., t. 3, p. 294).

    M. de Charlus dit au Narrateur : « [...] ma tante (Marquise de Villeparisis), [...], a eu la fantaisie, en se remariant avec un certain petit M. Thirion, de plonger dans le néant le plus grand nom de France. Ce Thirion [...] devint monsieur de Villeparisis. [...] j'ai pensé qu'il voulait modestement signifier par là qu'il était un monsieur de Villeparisis, petite localité près de Paris, [...] » (op. cit., t. 2, p. 293-294). Son remariage rendit exrêmement riche Mme de Villeparisis, tante du duc et de la duchesse de Guermantes, amie d'enfance de la grand-mère du Narrateur.

     Villeparisis est un toponyme pourvu d'une réalité géographique à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Paris. Un peu plus au sud-ouest de Villeparisis est situé Guermantes (cf. billet 71). Le Guermantes romanesque est déplacé dans les alentours de Combray. 
     Selon Albert Dauzat (Les Noms de lieux, Paris, Delagrave, 1963, p. 139), des trois toponymes en -ville ou ville- dans la région parisienne : Romainville, Villemomble, Villeparisis, c'est ce dernier, Villeparisis, malgré son apparence noble et ancienne, qui est le nom le plus récent.

     A la plage de Balbec, Mme de Villeparisis fut un moment la cible de railleries des ignorants du pays et de leurs femmes, parce que, riche et titrée, « elle ne se déplaçait [comme la princesse de Luxembourg] qu'avec tout son train de maison. » (op. cit., t. 1, p. 677).

     Le geste distant et la grimace de dégoût que manifestaient à l'égard de Mme de Villeparisis les observateurs provinciaux traduisaient non pas le dépit de ne pouvoir posséder les prérogatives de la vieille dame mais la fanfaronnade de ne pas vouloir les posséder (ibid., p. 678). Leurs sarcasmes étaient aussi une forme de snobisme.

     Mme de Villeparisis connaît plusieurs grands hommes de lettres plutôt dans leurs tares que dans leurs vertus. Chateaubriand, Balzac, Victor Hugo ont été reçus jadis par ses parents et entrevus par elle-même. Son père qui voyait Beyle (Stendhal) chez M. Mérimée (Prosper) disait à sa fille que Beyle [...] était d'une vulgarité affreuse (op. cit., t. 1, p. 710).

     Sa vision littéraire diffère grandement de celle du Narrateur. Elle lance un cliché à la grand-mère du Narrateur : « Ah, oui, vous lisez Mme de Sévigné. [...]. Est-ce que vous ne trouvez pas que c'est un peu exagéré ce souci constant de sa fille, elle en parle trop pour que ce soit bien sincère. Elle manque de naturel. » (op. cit., t.1, p. 697).
     "Ma grand-mère" est sublime : « (Elle) trouva la discussion inutile et, pour éviter d'avoir à parler des choses qu'elle aimait devant quelqu'un qui ne pouvait les compendre, elle cacha, en posant son sac sur eux, les Mémoires de Madame de Beausergent. » (op. cit., t. 1, p. 697). C'est Mme de Villeparisis qui manquait non seulement de naturel, mais de retenue, de bon sens.

     Mme de Villeparisis souhaitait hisser le petit nom de Villeparisis au rang de Guermantes dont elle était issue. Elle voulait même que les Villeparisis aient été en parenté avec Saint-Simon. Sa vision littéraire à la Sainte-Beuve avait quelque chose de commun avec sa manie de rechercher non pas la vertu intrinsèque du nom mais tout ce qu'elle trouvait d'éloquent, d'ostensible et d'extérieur au nom : tableaux, légendes, potins mondains qui prouveraient l'ancienneté de son nom. Elle était ce qu'elle voulait être le moins: cabotine. Sa déchéance mondaine était certaine. (A suivre)

Publicité
Publicité
Commentaires
Philologie d'Orient et d'Occident
Publicité
Archives
Publicité