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Philologie d'Orient et d'Occident
22 octobre 2019

Ἔκφρασις (6)

Philologie d'Orient et d'Occident (440) Le 22/10/2019  Tokyo K.

κφρασις (6)  -  Les anciens Grecs, que mangeaient-ils ? (3)

La garniture de la viande: - στος, λφιτα, νείατα etc.

CIMG5602

Un manoir à Sorges, en Haut Périgord (photo K. 11/2018)

Le signe h représente une laryngale à coloration vocalique:

en e avec h1, en a avec h2, en o avec h3 (cf. billet 25)

   Les substantifs σῖτος "blé, pain, nourriture" (plur. σῖτα "aliments; vivres") et ἄλφιτα (sing. ἄλφιτον "farine d'orge") "aliments préparés avec de la farine d'orge" semblent tous les deux chez Homère désigner la même catégorie d'objets avec le sens "nourriture", comme garniture du mets principal de la viande. Que ce soit l'orge, l'avoine ou le blé, ce sont des céréales. Parmi lesquelles on trouve également dans Homère ἄλειαρ "farine de froment" (plur. ἀλείατα < ἀλέω "moudre", supposent Chantraine et Beekes):

   ἄλφιτα τεύχουσαι καὶ ἀλείατα, μυελὸν ἀνδρῶν (Od. 20-108): peinant à moudre orges et blés qui font le nerf des hommes (selon Robert Flacelière, 1955); plus littéralement: "pour préparer (de la bouillie) d'orge et de blé, moelle des hommes (tr. K.).

   Flacelière traduit l'infinitif τεύχουσαι par "peinant à moudre (orges et blés)", c'est faire de la farine, ou simplement, "de la bouillie d'orge ou de blé". Mais rien n'est sûr dans la traduction. Non moins sûre sur ce point la nôtre: "préparer orge et blé". On ne sait pas exactement ce qu'elles (servantes cuisinières) "préparent". Saupoudrer la viande de farine ? Ou "faire de la bouillie" pour assortir, voire, garnir le mets consistant principalement en chair animale? Pour nous la dernière solution est la plus probable.

   Or, ὀνείατα, terme général signifiant "aliments, mets" (sing. ὄνειαρ "utilité" qu'on fait normalement venir du verbe ὀνίνημι "être utile, avantageux") ne semble pas avoir de rapport avec des noms de céréales. Un autre mot: εἶδαρ qui signifie "nourriture" (plur. εἴδατα < ἔδω "manger") n'est non plus des grains: 

   σῖτον δ᾽αἰδοἰη ταμίη παρέθηκε φέρουσα / εἴδατα πόλλ᾽ ἐπιθεῖσα, χαριζομένη παρεόντων/ δαιτρὸς δὲ κρειῶν πίνακας παρέθηκεν ἀείρας (Od. 1-139-141):  "la vénérable intendante apportait le pain et le mit devant eux. Puis le maître-tranchant, portant haut ses plateaux de viandes assorties, le présenta". Ainsi traduit succinctement Flacelière (Collection de la Pléiade, 1955). 

   Le lecteur peu expérimenté que nous sommes ne trouve toujours pas, dans cette traduction, où est traduit le mot εἴδατα. Dans l'édition en anglais (Loeb, seconde éd.1995), on voit clairement que le mot est traduit par dainties, c'est-à-dire "friandises": And the grave house-keeper brought and set before them bread, and with it dainties in abundance, giving freely of her store. (...). On ne sait cependant pas en quoi consistaient exactement ces "friandises". Nous supposons que le mot ὀνείατα est de ce genre. C'est ce qui est bon à manger. De toute manière, εἴδατα (sing. εῖδαρ) n'est pas le "gruau" auquel renverraient σῖτος, ἄλφιτα ou ἀλείατα.

   Sur le mot grec ὄνειαρ, Jean-Pierre Levet (cf. billet 234) vient de nous faire parvenir le message suivant :

    P. Chantraine pose, pour expliquer ὄνειαρ et sa famille (ὀνίνημι « être utile », etc.), une racine suffixée *h3n-eh2-. Le substantif est un neutre hétéroclitique à suffixe *war/wnt- (avec n voyelle). Au pluriel, chez Homère, il désigne ὀνείατα, les aliments, les mets, soit dans un vers formulaire, soit plus rarement dans d’autres expressions (Iliade IX, 91, 221 ; XXIV 367, 627 ; Odyssée I,149 ; IV 67, 218 ; V, 200 ; VIII 71, 484 ; XIV 453 ; XV 142 ; XVI 54 ; XVIII 98 ; XX 256).
    Cette acception, limitée au grec archaïque, est expliquée communément à partir de « choses utiles » > « aliments », mais cette évolution ne me paraît pas très satisfaisante (on pourrait l’inverser, mais alors c’est le verbe ὀνίνημι « être utile, avantageux » qui ferait problème). Dans de nombreuses langues indo-européennes, une laryngale devant sonante nasale (-n-) disparaît sans laisser la moindre trace, le grec est conservateur sur ce point.
    On pourrait donc envisager un nom racine *(h3)n-eh2- « nourriture » sous la forme , ce qui ne semble pas attesté en indo-européen, mais rien n’interdit d’imaginer l’existence d’un étymon nostratique *(h3)n-eh2 passé sous la forme *neh2, avec perte de la laryngale initiale, puis *nā dans une autre famille. Le rapprochement que tu proposes (cf. billet 25) me paraît donc très intéressant. (À suivre).

 

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