Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Philologie d'Orient et d'Occident
19 juin 2012

Vers la nostratique

Philologie d'Orient et d'Occident (182)

                                   Le 19/06/2012, Tokyo    K.

Vers la nostratique


     Pourquoi l'ancien numéral « momo », signifiant du nombre 100, se présente-t-il sous comme une répétition de la seule syllabe mo ? Si mo avait fait partie de la numération tripartite: mi 3, mu 6, *mo 100, grand nombre ; hi 1, hu 2, ho 100, grand nombre (cf. billet 180), différenciée par la métathèse (i/u/o), le « mo » n'aurait pas eu à être répété, car les trois voyelles différentes étaient suffisantes pour distinguer les trois concepts numéraux.

     Or, ce n'était pas le cas dans la langue ryûkyû aux trois voyelles a, i, u. L'homologue ryûkyû de momo japonais étant mumu, à mumu-nu kurusimi « cent douleurs, beaucoup de peine » en ryûkyû aura correspondu momo-no kurusimi en japonais archaïque. Pour signifier un autre nombre que 6, l'élément mu- (6) devait être modifié. En ryûkyû donc, faute de o ou e différenciateurs de a, i, u, le rapport tripartite devait être assuré par le schéma: mi- (3), mu- (6) et mumu (100).

     Si c'était la raison pour laquelle on avait la forme répétée momo (au lieu de mo) en japonais ancien, il faudrait ici aussi (cf. billet 181) supposer l'antériorité du ryûkyû au japonais ancien. Le calque de l'expression en japonais sur le ryûkyû n'est cependant pas reconnu comme un fait avéré.

     D'après le Dictionnaire aïnou de Mme Tamura (cf. billet 176), le numéral arwan (7) serait composé des trois éléments : re-(3)-e(avec)-wan(10). Elle établit ainsi, tout naturellement, une métathèse du type indo-européen: r(e)- / ar-.

    Le fait est abondant dans le verbe sanskrit : kr- « faire » (-r- est vocalique, se prononce comme -ri-) donne un radical -kar- au présent, au parfait et à l'aoriste ; gr- « chanter », également, gar- au futur et à l'aoriste ; mr- « mourir », mar- au présent, au futur, au parfait ; tr- « passer », tar- au présent, au parfait, à l'aoriste et au futur. La consonne ajoutée, quelle qu'en soit la nature, ne change rien à l'affaire : trd « fendre », tardati au présent, tatarda au parfait ; trp « être satisfait, τέρπω en grec », tarpayati au causatif, tatarpa au parfait.

    Le fait ne se limite pas aux vieilles langues. En gascon, langue de l'extrémité ouest de l'Eurasie, presque la totalité de mots qui commencent par r(V)- en latin se convertissent en arr(V)- : arriu « ruisseau », arrajar « rayonner », arram « rameau », arrua « rue », arrider « rire », etc. Le phénomène peut se produire en tout temps et, sous certaines conditions, un peu partout dans le monde.

    Le verbe sanskrit r- « se produire, aller, se mouvoir, se trouver » alterne avec ar- (en iyarti, archati, arat, arisyati, arpayati, arta, etc.). Le verbe r-, de même que son synonyme grec πέλομαι « être en mouvement, se trouver » suppléait à l'ontique εἰμί « être », pouvait remplacer as (asmi, asi, asti, etc.) « être ».

    L'identité formelle du verbe ontique aïnou an avec son homologue ryûkyû an ne nous permet pourtant pas de supposer qu'il y ait eu entre les deux un lien génétique. L'écart grammatical entre les deux langues est de nature à ne pas admettre de filiation entre eux. La ressemblance peut donc être une coïncidence fortuite. Par contre, il est tout à fait probable que le an ryûkyû et le japonais ancien ari aient une origine commune (cf. billet 33). L'étymologie du verbe ari, le plus vieux et le plus fondamental des verbes japonais, n'est pas établie. Une des hypothèses suppose que le radical verbal était -ri, a- n'étant qu'un préfixe. Cette supposition peut approcher notre verbe de l'ontique sanskrit r- qui alternait avec ar-.

    L'absence de -r- dans an ryûkyû peut être complétée par la production de -r- épenthétique dans la formule négative ne:ran « ne pas être » (< ne:n : na négatif + an) (cf. billet 36). Mais ici l'épenthétique n'est pas le radical et vice versa. Si on tient compte de l'unité interne : r / ar, en abandonnant l'analyse : préfixe / radical, l'étymologie sanskrite (r-) du verbe japonais ari pourra se tenir.

     

Publicité
Publicité
Commentaires
Philologie d'Orient et d'Occident
Publicité
Archives
Publicité