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Philologie d'Orient et d'Occident
16 juin 2010

Le -r- épenthétique et le ryûkyû (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (36)

                                     Le 16/06/2010, Tokyo     K.

Le -r- épenthétique et le ryûkyû (4)

     La lingustique moderne présente un mot comme un ensemble composé de deux (ou trois) éléments : le signifiant (l'image acoustique), le signifié (le concept), et il s'y ajoute, s'il s'agit d'un nom commun, le référent (l'objet référé). Le signe linguistique, une des occupations majeures du linguiste moderne, est une entité psychique constituée du signifiant (son) et du signifié (sens). C'est là une conception chère aux pays alphabétiques.

    Dans cette trilogie du signe linguistique occidental, quel rôle peut jouer l'écriture chinoise ? Le kanji est plutôt une image visuelle qu'acoustique. Le sens est étroitement lié avec cette image visuelle. On eut recours, pour représenter un pronom personnel de la première personne du singulier « je » qui était alors [nga] en chinois ancien, à une image de deux tridents s'entrechoquant, 我 qui rendrait le son [nga]. Mais qui pourrait imaginer, sans en être informé auparavant, ce sens ? C'est de façon très imparfaite et indirecte que le kanji pouvait représenter son et sens, c'est-à-dire, un signe linguistique.
    D'autre part, bien qu'il ait été à l'origine une sorte d'idéogrammes, l'alphabet excelle à représenter des sons mais pas les sens. Pour signifier un sens, il faut que ce soit une syllabe composée de plusieurs phonèmes (représentés par les caractères alphabétiques correspondants). Vain, vingt, vin, (il) vint. Ces quatre homonymes français, bien différenciés à vue, ont besoin de contextes pour être compris oralement. En pareil cas, le chinois dispose de l'accent à quatre voix qui tient lieu de contextes. En écriture, par contre, le problème est le même, c'est-à-dire, au fond visuel. Mais, en alphabet, le sens est mieux lié à l'ouïe qu'à la vue, tandis que le kanji, mieux à la vue qu'à l'ouïe.

    L'idéogramme fait perdre (ou transformer) plutôt le son (puisqu'il n'en est pas assuré) que le sens, et l'alphabet, plutôt le sens que le son. Car l'alphabet est surtout un cadre phonétique de la langue. De toute manière, l'écriture, en idéogramme ou en alphabet, fait changer plus rapidement la langue qui s'y fait représenter que la langue qui en est dépourvue. Chez cette dernière, l'oubli ou la négligence sont fatals pour sa survie.

     J'ai discuté un peu longuement sur les rapports de l'écriture et des transformations de la langue. C'est parce que beaucoup, même parmi les linguistes, croient qu'une langue périphérique, sans support d'écriture, change plus vite qu'une langue du centre, protégée par l'écriture. C'est le contraire qui est souvent vrai. C'est la périphérie qui conserve de vieilles locutions.

    Je peux enfin revenir à notre sujet : le ryûkyû et le -r- épenthétique. La langue ryûkyû, différenciée en un grand nombre de dialectes, subsista sans écriture jusqu'au XVIe siècle. C'est seulement à partir de ce siècle qu'est apparu un document d'une rare qualité en kana japonais. Dans le recueil Omoro « pensées », les kanji sont peu nombreux.
    Les dialectes ryûkyû sont étudiés de près et classés par plusieurs linguistes en deux ou trois grands groupes . Les points communs ou différents tant en grammaire qu'en phonétique sont examinés avec méthode (voir en détail les travaux de six auteurs dans Nihon-rettô-no Gengo « Langues de l'archipel Nippon » Tokyo, Sanseidô, 1997). L'existence d'une langue-mère est évidente. Mais on ne peut encore y arriver. Tant la fragmentation dialectale est grande dans les Ryûkyû.

    J'ai supposé l'antériorité du verbe ontique -an ryûkyû à son homologue -ari japonais en même temps que l'origine épenthéthique de -r- de ari (billet 33). A la page 384 (op. cit.) est présentée une formule de négation : ne:reN. Une autre forme négative est : ne:N  dans les phrases : takako: ne:N / takako: ne:raN « ce n'est pas haut ». L'élément ne:N serait originellement de composition na (particule negative) + an. Ce serait -r- épenthétique qui est intervenu ultérieurement pour former ne:raN. Le point commun entre -an et -ari n'est donc que -a-, racine du verbe ontique, qui peut avoir été -a- nasale, notée -an. (Fin pour ce thème)

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