Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Philologie d'Orient et d'Occident
18 juin 2019

Formalisme et phonétisme (6)

Philologie d'Orient et d'Occident (431)  Le 018/06/2019  Tokyo  K.

Formalisme d'Orient et phonétisme d'Occident (6)

Répartition sémantique par alternance phonétique

CIMG4033

Une galerie de la ville de Naples (photo, K.)

 

   Jerzy Kuryłowicz (1895-1978), qui a apporté des preuves décisives à la théorie des coefficients sonantiques de Saussure, fut un des linguistes les plus profonds du XXe siècle dans l'analyse des formes verbales de l'indo-européen. Il affirma: il y a (en dehors de la recherche étymologique des désinences) deux autres manières d'aborder le problème de l'origine du verbe fini; c'est 1. d'étudier le rapport des désinences en elles;  2. d'analyser la partie prédésinentielle des formes verbales, notamment le vocalisme et l'accentuation. (Les désinences moyennes de l'indo-européen et du hittite, 1936, Paris, B. S. L.) On va voir ici comment ces deux moyens d'expression (vocalisme et accentuation), ce qu'il y a de plus archaïque dans la structure de l'indo-européen (ibid.), nous réservent une autre vision du vocabulaire des deux langues: le japonais et le chinois.

   Pour le japonais, on peut ajouter à la liste des formes du billet 430 (ko/ki; kaza/kaze; kamu/kami; ho/hi; ika/iki/iku; se/si/su; ko/ki/ku) deux radicaux: tV: ta/te 手 "main"/ to(-ru) 取 "prendre" et kagV: kaga-yofu "briller"; kaga-mi "miroir"; kagi-rofi "lueur matinale"; kagu-ya-hime "princesse Lumière"; kage "reflet" (par un curieux retournement de sens, "ombre").  La triade ma-, me 目 "œil", mi(-ru) "regarder" est bouclée par mo(-ru) 守 "fixer des yeux, (sur)veiller, défendre", d'où est issu saki-mori 防人 "conscrits de la défense frontalière". Mi-ma-mo-ru 見守 "observer, veiller" est une forme redoublée moderne. Le radical de ki "arbre" est ko- (ki2 < ko + i emphatique), me "œil", ma- (me2 < ma + i). Pour la formation de deux i (non palatale - existence dialectale - et palatale) et de deux e (e2< a+i; e1< i+a), voir nos anciens billets: 165 (pour deux i); 166 (pour deux e).

   Ces radicaux nominaux ou verbaux à vocalisme alterné, formellement similaires aux Zeitwörter germaniques, sont divisés en deux aspects modaux: inaccompli (ko-dachi "bosquet"; kaza-muki "direction du vent"; kamu-kaze "vent de dieu"; ho-kage "lueur de feu"; ika-mu "vouloir aller", se-si "avoir fait", ko-zu "ne pas venir", ta-na-gokoro "cœur de la main, paume" etc.) et fini (ki "arbre"; kaze "vent"; kami "dieu"; hi "feu"; iki-ki "aller-venir"; te "main"; kage "ombre"; me "œil"). Ces deux modes pourraient refléter un état antérieur à la déclinaison indo-européenne.

   Bernhard Karlgren, éminent sinologue suédois (1889-1978), essaya de trouver dans la langue chinoise (cf. The Chinese Language - An Essay on its Nature and History, Stockholm 1949) un phénomène analogue à l'alternance phonétique indo-européenne, moyen de répartitions sémantiques ou de fonctions grammaticales du vocabulaire.

   On avait vu dans les billets 426 et 430 que les anciennes lectures de quó 國 "pays"(hıǝk: h glottal, proche de -g) et de (kuǝk) 域 "territoire" pouvaient s'identifier, ainsi que yào (archaïque, iɔg) 耀 "briller" et zhāo, cháo (arch., tıŏg) 朝 "matin". Karlgren se demande si, en pékinois, "mesurer" est to, et "la mesure", tu, ce ne sont que deux aspects du même radical (ibid. p. 70). Effectivement, selon le dictionnaire Tôdo (1980), duó "mesurer" en pékinois moderne remonte à dak au moment du Shījīng; "la mesure" à dag. La langue moderne (quó/yù;  yào/zhāo, cháo; duó/) occulte le lien étymologique entre les mots, lequel peut se deviner facilement dans la langue archaïque (hıǝk/kuǝk; iɔg/tıŏg/;dak/dag). La distinction, d'ordre plutôt consonantique que vocalique, est plus nette dans la langue ancienne.

   Ainsi, le savant suédois fait dériver du radical du mot yán (arch., ngıăn) 言 "parole, dire", cinq mots (cf. ibid. p. 86) dont le lien est difficile à percevoir dans la langue moderne: yán (ngıăn) 諺 "diction consacrée, proverbe"; yún (giuǝn) 云 "dire, parler"; yué (gıuăt) 曰 "dire, déclarer"; wèi (gıuǝd) 謂 "dire"; huà (guăd) 話 "langage, parole, mot". (La graphie phonétique est modifiée selon le dictionnaire Tôdô).

   L'alternance consonantique, accompagnée de répartitions sémantiques, se produisait souvent à la fin du mot: les deux sens de l'idéogramme 悪: prononcé é en pékinois actuel veut dire "mauvais, le mal", prononcé , "haïr, détester". La distinction du nom du verbe était anciennement rendue possible par deux consonnes alternées: ak "mauvais, le mal", ag "haïr, détester". La fonction des voyelles n'est pas aussi nette qu'en japonais: le mot 唇, prononcé zhèn (arch., tien) "vibrer, trembler", chún (diuen) "lèvre".

   Pour la grammaire, la différence est considérable entre le japonais et le chinois. Mais l'idéogramme, signe sémantique invariable et non ensemble variable de phonèmes, peut assurer l'unité linguistique de tous les pays concernés. (À suivre).

Publicité
Publicité
Commentaires
Philologie d'Orient et d'Occident
Publicité
Archives
Publicité