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Philologie d'Orient et d'Occident
2 juillet 2019

Formalisme et phonétisme (7)

Philologie d'Orient et d'Occident (432)  Le 02/07/2019  Tokyo  K.

Formalisme d'Orient et phonétisme d'Occident (7)

Caractères de l'alternance consonantique en chinois

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Laurier d'Inde en bonsaï à Ogasawara (photo K.)

 

   Nous avons publié une vingtaine de billets (du 186 au 206 en 2012) sur les questions linguistiques posées par les Aïnous, une des plus importantes des premières tribus de l'archipel nippon. Pendant plus d'une vingtaine de milliers d'années, les habitants de l'archipel ignoraient les techniques de l'écriture, jusqu'à ce qu'ils se soient mis en contact vers les premiers siècles avec les continentaux, détenteurs d'une remarquable écriture.

   Sur les deux manières de lire les idéogrammes (ŋo-on 呉音 / han-on 漢音) qui se sont élaborées au cours de la longue histoire de l'introduction de l'écriture chinoise, voir notre billet 8.

   Dans le dernier billet (431), on a vu que depuis le moment du Shījīng (vers 2800 BP), l'alternance consonantique, dans le même mot, pouvait signaler une différence sémantique: 朝 zhāo, arch. tıŏg "matin"/ 朝 cháo, arch. dıŏg "se diriger, être en face; règne, dynastie"; 度 , arch. dag "la mesure" / duó, arch. dak "mesurer", opposition archaïque représentée par t- / d-  pour 朝; -g / -k pour 度. Ce qui ne veut pas dire que dans le dernier cas: dak "mesurer" / dag "la mesure", le clivage indo-européen entre la sourde (-k) et la sonore (-d) correspondait toujours à la distinction entre les catégories grammaticales, en l'occurrence, le verbe et le substantif.

   La catégorisation grammaticale en chinois n'est pas claire. 站 zhàn (< arch. tăm) est à la fois un substantif "arrêt (d'autobus)" et un verbe "s'arrêter, stationner" dont la même répartition sémantique est donnée par "stop" anglais ou par "Halte(stelle)" allemand. Pour le cumul de plusieurs parties du discours, le chinois zhàn est plutôt proche du nom anglais "stop", puisque celui-ci peut avoir, en soi-même, un sens verbal "(s')arrêter", alors que Halt(e) allemand doit être garni d'un suffixe "-en" (halten = Halt machen "s'arrêter") pour qu'il fonctionne comme verbe; de même qu'en français: arrêt / (s')arrêter.

   On peut y ajouter, avec nombre de mots cumulant plus de deux catégories grammaticales - nominal et verbal - , un idéogramme qui se lit de deux manières: 長 cháng "long (adjectif-substantif), longueur" et 長 zhǎng "chef, aîné (substantif); s'élever, croître, grandir (verbe)". Selon le dictionnaire Tôdô (1980), l'opposition sémantique est rendue par l'alternance t- / d- : tıang(> zhǎng moderne) / dıang(> cháng moderne).

   En chinois la répartition sémantique verbe / nom ne procède pas toujours d'une simple alternance d'une sourde (t, k, etc) et d'une sonore (d, g, etc.) ou de la permutation de -ng, avec -n, -g ou zéro. Les cumuls sont nombreux. Dont zhuān 専 "spécial (adjectif), spécialité (substantif); monopoliser (verbe)".

   Depuis les temps les plus reculés, les mots chinois ne rentrent pas dans la catégorisation grammaticale à l'indo-européenne. La primauté formelle sur le son ne permet pas aux mots de se singulariser par une fonction grammaticale. Karlgren (cf. billet 431) énumère dans son livre (ibid.) de nombreuses occurrences des noms correspondant à leurs verbes dont les consonnes sont chichement alternées. En revanche, assuré de sa forme concrète, le son peut s'altérer plus librement et parfois complètement. 馬 măg "cheval" à l'origine pouvait se transformer en japonais en uma et ba (< mba); 梅 muǝg "prune", ume et bai (< mbuǝi); 男 nǝm "homme", nán et dan (< ndam); 女 nıag "femme", nio et jo (< ṇḍıo).

   Le mot zhuāncháng, composé des deux mots: zhuān et cháng, veut dire "compétence, le fort de qn". zǎoqǐ bùshì wǒde zhuāncháng 早起 不是 我的 専長 signifie: "se lever tôt / n'est pas / mon / fort". On peut traduire cette phrase presque en mot à mot (zǎoqǐ 早起 "tot se lever", bùshì 不是 "n'est pas", wǒde 我的 "mon", zhuāncháng 専長 "fort"). En anglais ce serait: to get up early / is not / my / forte; en allemand: früh aufstehen / ist nicht / meine / starke Seite. L'infinitif du verbe (se lever / get up / aufstehen / 起) peut se constituer en sujet (nominal) de la phrase.  

   Ces traits intéressants traduisent le fait que le caractère du proto-chinois ressemblait beaucoup plus à celui de nos langues de l'Ouest dans des points essentiels (ibid. p. 98), dit Karlgren. Et il ajoute: les auteurs archaïques chinois avaient déjà perdu le sentiment de la fonction grammaticale (ibid. p. 99). (À suivre)

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