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Philologie d'Orient et d'Occident
7 mai 2019

Formalisme et phonétisme (3)

Philologie d'Orient et d'Occident (428)  Le 07/05/2019  Tokyo  K.

Formalisme d'Orient et phonétisme d'Occident (3)

Quelques emprunts au tokharien en chinois

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Plage Ko-minato (Ogasawara, Chichi-jima, le 25 mars 2019, photo K.)

 

   Dans les quinze pages (The Early Indo-europeans in Central Asia and China, p. 21-35, Innsbruck 2016) consacrées aux emprunts tokhariens dans la langue chinoise, figurent 25 entrées, mots-idées chinois qui auraient été originaires du tokharien. Toutes les occurrences, bien qu'elles manquent d'évidences culturelles concrètes qui devaient exister dans les deux langues, ne manquent pas de stimuler l'imagination des usagers quotidiens des kanjis (idéogrammes). Chaque idéogramme révèle à ceux qui croient s'y connaître un autre profil insolite à travers de probables relations avec l'indo-européen.

   11) (p.27-28) Le tokharien B lyam, pl. lymanta m. "lac" (cf. grec λίμνη f "étang d'eau dormante laissé par la mer ou une rivière"; lac marécageux; piscine artificielle; bassin; λιμήν "port") est lié, selon Václav Blažek et Michal Schwarz, au chinois 潭 tán (< *dhǝm < *lhǝm, ce dernier de la première dynastie des Hans) "golfe; mare; gouffre". Le chinois 潭 est analysable en deux éléments: 氵et 覃: le premier (氵) sert de sigle pour signifier (gouttes d') eau, le second 覃 (< t'an < t'am < dǝm : selon le Tôdô 1980) est "un panier tressé, une profonde passoire de bambou". Réunis en 潭, les deux signifient "gouffre profond". Le lien de lyam avec le chinois 潭 (*lhǝm) peut être phonétiquement possible, mais sémantiquement l'hypothèse laisse à désirer: la différence de profondeur entre étang et gouffre nous semble avoir été négligée.

   L'idéogramme 潭 nous rappelle un vieux magazine littéraire japonais, dans les années 30-40, du nom de tan-kai 譚海. Dans tan 譚, le sigle氵de 潭 est remplacé par 言 gen ou gon "parole, dit, parler, dire". 譚 veut dire "récit(s), narrer, raconter". Ce qui est extraordinaire en chinois (et en japonais aussi qui lui a beaucoup emprunté), c'est que les trois mots 覃 "profond (vers le bas)" 潭 "gouffre" 譚 "récit, raconter" se prononcent parfaitement de la même manière, successivement, selon le Tôdô 1980: dǝm > t'am > t'an >tán. Ce qui différencie le sens n'est donc pas le son mais la forme. En ce qui concerne ces trois mots: 覃  潭  譚,  ce qui assure le son et le sens global concerne la partie droite du mot 覃 (qui reste toujours identique), le sens spécifié, la portion gauche du mot.

   L'homophonie est évitée visuellement, comme d'ailleurs en français, entre ère, air, aire, erre, ers, haire, hère et tout leur pluriel. Mais en chinois le vrai sens (ἔτυμος) est manifestement mieux conservé qu'en français. Le son peut s'altérer, le sens y demeure.

   海 (hai chinois, kai japonais), c'est la mer. La portion droite 毎, deux fois répétée (毎毎), ou représentée par l'idéogramme kai 晦, signifie "sombre, trouble". En chinois, la mer est les eaux (氵) sombres (毎) dont le sens glisse naturellement vers "une grande quantité (d'eau)" d'où le mot ju-kai 樹海 "flots d'arbres, futaie". Notre magazine 譚海, calqué là-dessus, veut donc dire "flots de récits" en terme soutenu.

   12) (p. 28) Au tokharien AB lik- "laver" et B laiko- "bain, lavage" correspondrait le chinois 滌 (la partie droite 條 est maintenant simplifiée en 条) "laver, nettoyer, dépouillé, clarifier (alcool)" dont la plus ancienne occurrence *l(h)īkw "nettoyer, dénudé" serait dans le Shījīng 2600 BP (cf. billet 22). Cette forme chinoise est censée liée avec lat. liquēre "être clair, liquide". Une remarque importante des auteurs: L'emprunt qui eut lieu avant 2600 BP avait probablement un sens spécifique de purification rituelle. Mais ainsi, nous devrions nous demander si l'emprunt ne s'est pas produit dans le sens inverse: du chinois au tokharien.

   13) (p. 28) Le sens de la racine du tokharien AB luk- "briller, illuminer, être illuminé, éclairer" serait passé au chinois 濯 yào [qui se prononce actuellement zhuó, non pas yào; les auteurs auraient pris ce mot pour yào: soit 曜 soit 耀 ou 燿, tous en effet à peu près du même sens que zhuó 濯 - seulement différenciés par la technique de nettoyage: le soleil 日 (曜), la lumière 光 (耀), le feu 火 (燿) ou enfin de l'eau氵(濯)] "être propre, brillant, splendide, lumineux, luisant". La partie droite 翟 (羽 "plume" + 隹 "oiseau": élancée et luisante) de ces mots, assure le sens commun à ces idéogrammes 濯, 曜, 耀, 燿. Il est donc extrêmement délicat de comparer sur une même mesure les signes fondamentalement phonétiques d'Occident avec les mots de formation idéogrammatique d'Orient. (À suivre) 

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