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Philologie d'Orient et d'Occident
4 juin 2019

Formalisme et phonétisme (5)

Philologie d'Orient et d'Occident (430)  Le 04/06/2019  Tokyo  K.

Formalisme d'Orient et phonétisme d'Occident (5)

Préséance et préservation des nominaux chinois

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Au revoir, Chichi-jima (Ogasawara) (le 26 mars 2019, photo K.)

 

   Voici la position de Jean-Pierre Levet, ainsi que notre avis, concernant l'éventuel lien tokharien-chinois exprimé dans l'ouvrage de Václav Blažek et Michal Schwarz (cf. billet 429) en 2016.

   J.-P. Levet - Comme je te l'ai dit au téléphone, j'ai consacré ma thèse de l'Ecole des Hautes Etudes sous la direction de Mme Bader, en 1977, aux présents sigmatiques du tokharien (la classe VIII, unique dans les langues indo-européennes), ce qui m'a conduit à m'intéresser également aux aoristes sigmatiques du tokharien et de façon plus générale de l'indo-européen. Ma conclusion, évidemment prudente, était que l'on avait à l'origine dans des radicaux se terminant étymologiquement par *-s une construction faite à partir d'une forme nominale de nom d'action.

   Depuis divers auteurs ont émis d'autres hypothèses qui ne m'ont pas convaincu, comme la mienne, à laquelle je reste attaché, a été discutée. Cette base en *-s est entrée non seulement dans le système indo-européen du verbe, mais encore dans des formations nominales comme les neutres à suffixe -*es/os etc. En 1977, je n'avais évidemment pas connaissance des théories eurasiatiques avancées bien plus tard par J. Greenberg. Aujourd'hui, c'est vers elles que je me tournerais, en estimant que ces formes sigmatiques radicales sont antérieures à la création du système verbal de l'indo-européen et à celle de sa déclinaison caractérisée par des désinences.

   Le rapprochement avec un mot chinois proposé par les deux savants est intéressant: l'emprunt a pu se faire non pas à une langue indo-européenne (le tokharien), ni même à l'indo-européen, mais à l'ancêtre de ce dernier, l'eurasiatique. Cela pose également de façon plus générale les rapports entre le chinois et l'eurasiatique et l'existence d'éventuels liens génétiques à un stade encore plus ancien.  Jean-Pierre

 

   S. K. - Tu as bien raison de supposer que du côté du chinois, «l'emprunt a pu se faire non pas à une langue indo-européenne (le tokharien), ni même à l'indo-européen, mais à l'ancêtre de ce dernier, l'eurasiatique». Mais «le rapprochement avec un mot chinois proposé par les deux savants» ne me convainc guère. Car ils se trompent de mot « yào » pris pour 濯, actuellement prononcé zhuó. Or, ce zhuó ne remonte ni à *ljawks, ni à *ljewks qu’ils supposent aux temps du Shījīng, mais à *dɔk.

   D'autre part, selon le Tôdô 1980, les trois autres mots: 曜, 耀, 燿, prononcés « yào » actuellement, remontent tous à *iɔg par l'itinéraire commun (> yiεu > ieu > iau > yào). Ne sachant distinguer ces quatre mots (濯 / 耀, 曜, 燿), ils ont pris un de ces trois 耀, 曜, 燿 (耀, probablement) pour 濯. Leurs formes d’ancien chinois: *ljawks, *ljewks qui ressembleraient au vieil islandais *leuhsa ne figurent point dans le Tôdô. Nous ne savons pas exactement comment la différence originelle entre deux formes anciennes: *dɔk (zhuó 濯 "laver, faire jaillir de l'eau" et zhuó 擢 "[faire] saillir") et *iɔg (yào 耀, 曜, 燿 "briller") pouvait avoir agi sur leur clivage sémantique.

   De toutes manières, de notre côté, dans le dictionnaire Tôdô, le vieux islandais *leuhsa ne semble pas trouver son correspondant. En revanche, l'hypothèse de préséance des formes nominales à l’eurasiatique promet beaucoup. N'est-ce pas cet aoriste "nominal" qui aura rapproché le proto-indo-européen du chinois antique ?  

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   Ne peut-on pas supposer que *s- est provenu d'un démonstratif emphatique tel que *so eurasiatique (cf. sa- sanskrit, grec; sa, si, so démonstratifs japonais) qui aurait servi également à former le pluriel, le génitif en indo-européen? D'abord utilisée pour déterminer les nominaux, la particule s'est vue étendre ses champs d'emploi pour noms d'action tels que marche, course, venue, frappe: (cette) marche (à lui) = (Il) marche; (cette) course ! = (ça) court !, etc.

   L'aoriste sigmatique fut tout d'abord un procédé de la grammaticalisation des noms plutôt que des verbes. Car, en indo-européen, le système verbal s'était tardivement constitué. Le chinois, déjà riche de ses idéogrammes et ses phrases nominales n'ayant cure du gua indien pour se différencier, n'a pas eu recours à l'alternance vocalique.

   N'est-ce pas plutôt le japonais qui, avec ses voyelles alternées au service des noms grammaticalisés (ko-, ki  "arbre"; kaza-, kaze "vent"; kamu-, kami "dieu"; [p]ho-, [p]hi "feu"; ma-, me, mi- "œil, regarder", etc.) ainsi que des verbes (ika, iki, iku "aller"; se, si, su "faire"; ko, ki, ku "venir", etc.), aura profité de la gradation vocalique à l'indo-européenne? (À suivre)

 

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