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Philologie d'Orient et d'Occident
21 mai 2019

Formalisme et phonétisme (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (429)  Le 21/05/2019  Tokyo  K.

Formalisme d'Orient et phonétisme d'Occident (4)

Nom d'action et verbe en chinois 

CIMG5751

L'Océan Pacifique (Ogasawara, Chichi-jima, mars, 2019, photo K.)

 

   L’ouvrage de Václav Blažek et Michal Schwarz, The Early Indo-europeans in Central Asia and China (Innsbruck, 2016) est certes riche en témoignages lexicaux indo-européens. Mais nous avons émis, dans nos trois derniers billets (426, 427, 428), quelques réserves sur la qualité de la comparaison du tokharien avec le chinois. Cette fois, il nous sera permis d'envisager un point de vue autre que des nominaux entre les deux langues. À l'entrée 13 (p. 28), les auteurs autrichiens ont laissé ces commentaires:

   Note: Adamus (p.c., Dec 11, 2012) mentions that in Tocharian there are no traces of the s-stem, attested directly practically only in Old Icelandic ljós n. « light » < *leuhsa- (Pokorny 1959, 689). But the Chinese forms also bear the verbal meaning and in this perspective the borrowing of the Tocharian sigmatic verbal forms seems quite natural.

   Comments: The borrowing is datable before 600 BCE. Old Chinese adopted the sigmatic verbal stem of the Common Tocharian, forming the preterite.

   D'après notre pauvre connaissance de la grammaire chinoise, une même forme peut exprimer à la fois le nominal et le verbal. Il n'y a pas de distinction formellement nette entre les deux. Le sens se comprend selon l’ordre des mots ou le contexte. Or, ces deux savants emploient des termes de la grammaire indo-européenne, tels: s-stem, verbal form, preterit(e). Le verbe chinois est, dans un sens large, aoristique (sans temps, sans distinction avec nom d'action). Connaissait-on en chinois le « s-stem » comme en grec ou en sanskrit? L’ancien chinois adopta-t-il ce « s-stem» verbal du tokharien commun, formant le prétérit? Improbable. Notre doute sur l'hypothèse peut naître d'une mauvaise lecture des commentaires. Une tout autre approche pourra mieux clarifier le problème. 

   Les japonais ont emprunté au chinois le caractère 言 (lecture classique japonaise: gen ou gon) pour rendre notre koto(ba) « parole, langage ». Or ce 言 signifie, comme nous venons de montrer dans le billet 428, le sens nominal « parole, récit, (ce qui est) dit » en même temps que le sens verbal « parler, dire ». De même, 鳴 míng veut dire: « action de chanter » ainsi que « chanter (sens verbal) ». 

   鶏 鳴 jī míng signifie donc soit « (Au) chant du coq, (Au) coq chantant » soit « Le coq chante ou Le coq a chanté (le temps chinois est aoristique) ». Pour mettre en relief le prétérit ou l'accompli (le perfectum), les anciens Chinois employèrent une des particules adverbiales, 既 (déjà) en l'occurrence, entre 鶏 et 鳴. On a donc 鶏 既 鳴 矣 jī jì míng « Le coq a déjà chanté ! » ( 矣 correspond à liǎole 了 moderne, terminant l'énoncé). En 2010 (billet 22), nous avons examiné cette formule dans un poème de Shījīng.

   En chinois moderne, on emploie souvent un adverbe: 已 "déjà" ou jīng 已経 "déjà" pour rendre le perfectum. Dans la phrase quasi nominale à l'aoristique: wèntí jiĕjué 問 題 解 決 « le problème (est) résolu(tion) », le temps est mis au perfectum avec: wèntí jiĕjué 問 題 已 解 決 «le problème (est) déjà résolu». La phrase tā zǒu le 她 走 了« elle part / est partie» (le 了= 矣) peut être renforcée par l'adjonctionjīng: tā yǐjīng zǒu le 她 已 経 走 了« elle est déjà partie ». La langue chinoise a été toujours privée de l'architecture temporelle qui caractérise le système verbal indo-européen. Le système du verbe basé sur l'aoriste (non-limité) ne semble pas avoir existé en chinois. Le système composite (nominal / verbal) a sans aucun doute précédé le système verbal indo-européen.

   On s'est demandé, pour l'ouvrage des deux linguistes autrichiens, ce qu'ils entendaient par ce verbe chinois au s-stem (aoriste sigmatique) emprunté au tokharien. Là-dessus, Jean-Pierre Levet, helléniste comparatiste renommé (cf. billet 423), nous a fait parvenir une clarification que nous allons publier intégralement dans le prochain billet (430), nous contentant de donner seulement ici sa conclusion: « L'emprunt [en chinois] a pu se faire non pas à une langue indo-européenne (le tokharien), ni même à l'indo-européen, mais à l'ancêtre de ce dernier, l'eurasiatique ». (À suivre)

 

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