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Philologie d'Orient et d'Occident
11 septembre 2016

Les serments de Strasbourg (6)

Philologie d'Orient et d'Occident (Hors-série)

La naissance d'une langue nationale

Réflexions politico-linguistiques sur les Serments de Strasbourg (6)     Le 11/09  2016   Tokyo   K.

 

   De la stabilisation linguistique vers la création poétique

   Louis le Pieux avait, en plus des trois fils qui s'engagèrent dans le traité de Verdun, un enfant né entre Lothaire et Louis, Pépin, qui était roi d'Aquitaine. Ce souverain, après s'être plusieurs fois révolté contre l'empereur son père et réconcilié avec lui, mourut assez jeune, à Poitiers. Son territoire d'influence fut repris par son fils, Pépin II. Averti de la teneur du traité du Verdun, qui stipulait que toute l'Aquitaine passerait sous l'autorité de son oncle, Charles le Chauve qui avait le même âge que lui, Pépin II, naguère associé à Lothaire, recommença à se révolter pour défendre ses vieilles revendications territoriales, c'est-à-dire pour réclamer à Charles sa part d'héritage. Celui-ci leva son armée et descendit dans le Midi pour attaquer Toulouse. Nithard, à la tête de sa troupe de renfort, partit avec d'autres fidèles de Charles pour le rejoindre en Aquitaine et, près d'Angoulême, il rencontra les troupes de Pépin II, qui accouraient pour l'empêcher de progresser. Il fut tué dans cette rencontre (en 844 ou 845). Après bien des péripéties, la révolte perdit de sa force et finalement la plus grande partie de l'Aquitaine fut annexée au royaume de Charles le Chauve vers 850.

   Le conflit intestin de la famille impériale n'en finit pas pour autant. On vit souvent l'empire et les royaumes changer de souverain. Les seigneurs et leurs hommes, cependant habitués au nouvel ordre des choses et occupés à la défense et au maintien de leurs terres, cessèrent de s'ingérer, pour la bonne cause ou non, dans les affaires des pays étrangers où l'on parlait d'autres langues que la leur. Ce phénomène de conservatisme, qui se précisait approximativement depuis le milieu du IXe s., n'était pas favorable au pape, qui, tout en maintenant le système impérial comme agent laïque d'exécution de la maison de Dieu, voulait s'en servir pour exercer son pouvoir moral sur toute la chrétienté. Les incursions des Vikings, commencées dès le début du siècle, mais de plus en plus nombreuses et sanglantes, ne firent qu'exaspérer cette tendance. Tout en partageant la même morale, dictée par la foi chrétienne, les nations naissantes, refermées sur elles-mêmes, se cloisonnèrent. Ce fut un âge d'or pour les activités monastiques.

   Ce repli sur soi-même amena inéluctablement l'affaiblissement visible du pouvoir impérial, qui devait résider dans la force et dans l'universalité d'un empire puissant. Il y avait toujours un empereur, mais seulement à titre nominal. Quelques rois auraient bien pu guerroyer avec succès dans les terres étrangères, mais ceux qui ne pouvaient pas bien maintenir l'ordre dans leur royaume ni assurer la paix au-dedans, ou qui étaient incapables de protéger gens et terres contre les terribles attaques des Hommes du Nord, perdaient rapidement la base de leur pouvoir. Alors qu'à l'origine, il n'avait été que le roitelet d'une tribu germanique, le souverain devenait le véritable chef d'une nation. Dans ce glissement gigantesque succédant au rêve de la grande illusion d'une unité européenne et chrétienne illustrée par l'œuvre de Charlemagne, apparaissaient diverses réalités nationales, au sein desquelles le critère de la langue se révélait décisif. Ainsi les idées de Nithard avaient-elles témoigné d'un extraordinaire sens de prévision.

   Le premier spécimen littéraire en français fut produit à la fin du IXe s., lorsque la nation, libérée de l'illusion de l'unité impériale, fut ramenée à ses propres réalités linguistiques. La Séquence de Sainte Eulalie, fruit authentique d'une concentration poétique, fut achevée vers 881 dans un monastère des Flandres. D'autre part, un fragment poétique sur Boèce, première œuvre littéraire en occitan, fut écrit aux environs de l'an mil. À la même époque aurait été composée la Chanson de Sainte Foy, œuvre comparable par son esprit à la Séquence du Nord. Or l'une de ces deux premières créations en occitan fut inspirée par la vie d'un Romain dont le souvenir était partout présent parmi les religieux de la première moitié du moyen âge. Ce fait est bien caractéristique de la vie culturelle de la future Occitanie, car le thème de Boèce, philosophe latin et homme politique du Bas-Empire en même temps que traducteur d'Aristote et des principaux savants de la Grèce, ne manque pas d'évoquer pour nous la continuité qui existe, tant en ce qui concerne le fond que la forme, entre l'Occitanie et les traditions gréco-latines. C'est, en effet, en partie par sa tradition de culture classique que le Midi résista plus longtemps que le Nord à une christianisation facile. (À suivre)

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