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Philologie d'Orient et d'Occident
13 mai 2014

Intermède (3) - L'affaire F. dans la Société Archéologique

Philologie d'Orient et d'Occident (279)

                                        Le 13/05/2014        Tokyo    K.

L'empire du Japon: son essor et ses limites (4)

Intermède (3)   L'affaire F. dans la Société japonaise d'Archéologie

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Danseuses de Jômon par Misao Wada (cousu main)

   Des années 1980 aux années 2000, il se produisit quelque chose d'extrêmement aberrant dans la Société japonaise d'Archéologie. L'écho qu'a laissé cette aberration persiste encore.

   L'énormité de l'affaire tient à la question latente: celle de la première apparition humaine sur notre sol. Pour sa date, l'attitude générale du commun des mortels consistait dans un franc aveu d'incapacité. Même dans le monde de l'anthropologie, la réponse était floue: préciser la période du premier peuplement humain dans l'archipel semblait impossible. Avant la guerre du Pacifique, l'hypothèse la plus communément admise à ce propos était de la laisser s'ébaucher à partir de 30 000 BP.

   Car, au-delà, disait-on, on ne trouve, pour évoquer une existence humaine, aucune preuve substantiellement sûre: ossements, logis, outils primitifs de pierre, restes fossiles quelconques, etc. On était convenu que les premiers hommes de l'archipel n'y étaient apparus qu'entre 30 000 et 20 000 BP. Ce calcul était raisonnable.

   Apparut alors, au début des années 1980, conjointement avec le boom économique du pays, un homme surnommé «la main de dieu» pour son étrange habileté à découvrir des objets très anciens. Diaboliquement adroit dans les fouilles archéologiques, il dénichait les uns après les autres des outils de pierre d'un archaïsme inouï. Cela permettait de faire remonter de l'ordre de plusieurs centaines de mille ans la date d'apparition des hommes dans l'archipel. L'époque ultime qu'il avait «visée» aurait été d'un million BP.

   Dans une aire d'autoroute du Tôhoku (sur le site falsifié de Kami-Takamori, dépt. Miyagi) près duquel «la main de dieu» venait de «découvrir» des outils de pierre vieux de plus de cinq cents mille ans, on jubilait déjà dans l'espoir de voir arriver en masse des touristes.

   On n'a pas ici à allonger le palmarès d'exploits de ce faux dénicheur d'antiquités mais à dénoncer les manitous, de faux intellectuels, de la Société d'Archéologie qui excitaient, exaltaient, pressaient ce prestidigitateur en vue de leur profit académique. La déchéance de «la main divine» fut fulgurante. Début novembre 2000, sa tricherie fut surprise, filmée et dévoilée par une équipe du Maïnichi, un des trois grands quotidiens du pays.

   Au fur et à mesure que la vérité se faisait jour, on s'étonna de voir que l'homme qui croyait tromper était en réalité trompé par les pontes de la Société d'Archéologie. Le manque chez ces derniers d'une vision pertinente de l'évolution des hommes modernes était patent. Pinaillant sur la méthode d'analyse des outils paléolithiques ou néolithiques, ces caïds académiques, vrais protagonistes de l'affaire, se moquaient bien des critiques légitimes formulées par des archéologues formés à l'étranger, en particulier en France. Ces derniers, snobés et peu estimés, devaient se contenter de postes subalternes.

   Le Japon était curieusement abrité de la vérité de la science génétique qui montre que les hommes modernes se sont répandus dans le monde depuis l'Afrique à partir des environs de 160 000 BP. Comment nos archéologues pouvaient-ils croire que c'était en 500 000 BP au Japon que seraient apparus les premiers hommes du monde? 

   F. occupait le poste de vice-président du Centre de recherches paléolithiques de Tôhoku. L'affaire découverte, il quitta son poste. Le Centre, évanoui, n'existe plus. Archéologue autodidacte, le tricheur F. n'était que diplômé d'un lycée, alors que Torii Ryûzô (cf. billet 265), anthropologue et archéologue, dont j'ai maintes fois parlé dans mes billets, était également autodidacte, n'ayant même pas acquis de brevet d'école primaire. Qu'est-ce qui les différencie? Qu'est-ce qui distingue le grand Torii de ce pauvre filou et de ses piètres manipulateurs?

   C'est l'envie d'acquérir coûte que coûte une vision universelle, par l'étude acharnée des langues: ancien japonais, chinois classique et ses dialectes, quelques langues de Sibérie, russe, allemand, anglais et français. Le Professeur Torii avait de la passion non pas pour une seule mais pour plusieurs langues. Il achevait en 1919, un livre monumental sur les Aïnou des Kouriles en deux versions: en japonais et en français. Sa version française fut saluée aussitôt (en 1920) par les Palmes académiques de la République Française. (Pause).

 

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