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Philologie d'Orient et d'Occident
29 janvier 2013

Prolongement sur l'étymologie Itoshiro (2) Les prêtres de la montagne et les âmes errantes

Philologie d'Orient et d'Occident (214)

                                   Le 29/01/2013, Tokyo  K.

Prolongement sur l'étymologie de Itoshiro (2)

Les prêtres de la montagne et les âmes errantes

 

hakusan_wada

Temple Hakusan enneigé, Takayama (Ippon-sugi), photo du 15/1/2013 par Hitoshi Wada

 

   L'éventualité de la provenance aïnou (soit tosir «vallée encaissée», soit túsir «tombe») du nom d'un village de montagne situé au centre de l'archipel nous fait voir sous un nouveau regard l'identité des habitants archaïques de la région et de leur(s) langue(s).

   L'étymologie de l'épithète 中居 chûkyo [ty:kyo] «séjour intermédiaire ou temporaire» qu'on fit porter, depuis la réussite d'un bonze ascète-athlète, au temple Hakusan à Itoshiro (白山中居神社 Hakusan chûkyo-jinja), n'est pas entièrement élucidée. Son examen semble nous indiquer cependant une autre issue du problème.

   Pour le mot 中居 chûkyo, on a pensé d'abord à sa similitude terminologique avec chûgo 中語 «diseur d'oracles = diseur des mots intermédiaires (entre kami dieux et hommes) = interprète entre dieux et humains» employé dans le rituel du Tateyama, un des trois monts sacrés du Japon avec le Haku-san et le Fuji-san (cf. billet 209).

   L'idée évoque inévitablement un autre intermédiaire du nord: itako «diseuse de paroles des morts» (< itak «parole» aïnou) ou ses homologues ryûkyû: noro (< noru «dire» japonais») ou yuta (< itak aïnou, probablement).

   Écartant l'hypothèse diseur d'oracles, Gorai Shigeru dit à peu près ceci (Shugen-dô reizan-no rekishi-to shinkô «Histoire et foi des monts sacrés, objectifs des prêtres ascètes» Kyoto, Hôzô-kan 2008, p. 401):

Le mot chûkyo étant lié avec [la vie de] Taïtyô, premier à avoir gravi le Mont, on peut faire l'hypothèse que, d'abord résidant à Asauzu 浅水, en aval de la rivière Kuzuryû, il l'ait remontée, avec l'idée de faire la conquête du sommet Hakusan, jusqu'à l'altitude de 700 m, à Itoshiro dont il fit son «séjour intermédiaire». Dans cette demeure temporaire, il se prépara à l'ascension, confiné dans la pureté, la frugalité et la sainteté. Consacré à la suite de son ascension et de l'édification d'un autel au sommet, le temple Itoshiro Hakusan Chûkyo, tout en restant dans le statut du Chûgû [temple intermédiaire - terme ordinaire par rapport au chûkyo], n'était donc en vérité que le lieu de culte au bonze ascète lui-même.

   Dans l'ascétisme particulier de l'archipel nippon, comparable à celui des sectes chrétiennes, islamiques ou bouddhiques, ce qui faisait un saint ne consistait pas à accumuler de bonnes œuvres, à faire des efforts démesurés pour de bonnes actions ou des travaux humanitaires. Ce qui importait était un excès de zèle à la sainteté, voire, un miracle dont le commun des mortels n'était jamais capable. Faire l'ascension d'un haut sommet dont personne ne voulait était un acte miraculeux, car cela n'apportait rien d'avantageux à celui qui la pratiquait. On savait ce qu'était la montagne. C'était là où on allait déposer les corps de leurs morts et où s'agitaient les âmes errantes dont il fallait à tout prix conjurer l'effet maléfique.

   Les prêtres ascètes se mettaient volontairement en contact avec la montagne, bénéfique, car elle fournissait des aliments, nourrissait hommes et animaux. Maléfique, car la colère de la montagne, domicile des âmes, était redoutable, incommensurable. Les anciens adoraient et redoutaient à la fois ces prêtres de la montagne qui s'y exerçaient, parfois s'y sacrifiaient, voire, s'y immolaient.

   Nous autres laïques modernes, nous nous demandons comment le prêtre ascète Taïtyô mangeait, buvait, voire, vivait au sens ordinaire du mot, sinon après être arrivé à un statut de saint, au moins avant de réussir sa conquête du Mont. Selon Gorai Shigeru, ceux qui sont arrivés à l'état de sainteté, étaient toujours accompagnés de jeunes assistants, montagnards et chasseurs, qui pourvoyaient aux besoins de leurs maîtres. Ces jeunes apprentis ont fini généralement par adhérer aux idées de leurs maîtres, imitant leur pratique.

   Ce genre d'ascétisme de la montagne, en compagnie de disciples, antérieur à l'époque de Taïtyô, existait bien avant l'introduction du bouddhisme qui pourrait remonter au Ve siècle et même avant l'installation du shintoïsme qui s'était mis en place avec le système impérial, idéologie continentale, de la plaine, de la riziculture. Qui étaient ces montagnards ? Et quelle langue parlaient-ils ?

(À suivre)

 

 

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