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Philologie d'Orient et d'Occident
5 février 2013

Langue, religion et État (1)

Philologie d'Orient et d'Occident (215)

                              Le 05/02/2013, Tokyo  K.

Langue, religion et Etat (1)

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Haniwa de Jômon, par Misao Wada

   Le Japon est un pays où les montagnes prédominent largement sur les plaines. D'après une statistique, la superficie du pays est constituée, à 69 %, des montagnes-forêts. Ce taux, 2 000 ans BP, aurait été bien supérieur. La montagne était un des habitats préférés des Jomon, les anciens occupants de l'archipel. En revanche, la densité de population de la plaine était bien faible à l'époque.

   À l'époque Jômon, les régions qui correspondaient aux anciennes «routes» () telles que Tôzan et Hokuriku (cf. billet 208), comptaient plus de population que la Tôkai-dô, pacifique et maritime, où, actuellement, les activités humaines dépassent de loin celles de toutes les autres «routes».

   D'autre part, la population archaïque qui existait antérieurement à l'arrivée des immigrants continentaux, c'est-à-dire, qui subsistait avant la généralisation de la culture de riz, habitait non pas la plaine mais la montagne, sinon aux sommets mais sur les flancs, sur les pentes.

   Plusieurs sites archéologiques de l'époque Jômon dispersés autour de Kosaka (canton Kazuno, dépt. Akita, cf. billets 133, 161), ville natale de l'auteur du présent article, se trouvaient tous sur une certaine altitude, jamais sur un terrain bas et plat. Situées à l'extrémité nord d'un bassin en forme d'une énorme savate longue de 40 km, ancien marécage drainé par d'innombrables cours d'eau, agglomérations et rizières étaient à la proximité de l'eau, alors qu'on a découvert des fossiles et des débris de poteries sur des pentes peu aptes non seulement à la riziculture mais à toutes formes de culture.

   La localisation de l'habitat ancien en tel endroit s'expliquerait par la facilité à se procurer la nourriture, en petite quantité certes, mais fournie constamment par la vaste montagne (l'hypoténuse [la pente] est plus longue qu'aucun des deux côtés [la droite]): noix, fruits, herbes, fougères, tiges, racines comestibles, champignons, et petit gibier et produits de la pêche. La plaine, plate et cultivable, donnait ces nourritures en une seule fois, en grande quantité, mais à un certain moment limité de l'année. Alors que la montagne, faisant mûrir les fruits, graduellement, suivant les saisons et en fonction des accidents de terrain et de l'altitude, les dispensait au fur et à mesure, comme dons de la nature étalés sur l'année.

   La vie dans la plaine, nécessitant non seulement un certain art de conservation de la nourriture ramassée mais encore la concentration des efforts, la collectivité, voire, le collectivisme, procurait aux habitants davantage de richesse et de loisir, alors que la vie dans la montagne ne fournissait qu'un minimum de vivres. La montagne pourvoyait pourtant aux besoins de tous les actifs, même des solitaires qui ne savaient que descendre et monter la pente. La vie dépendait de la force physique d'aller-retour vertical.

   Même après la généralisation de la riziculture dans le sud-ouest et le centre (donc après l'installation, dans l'archipel, d'un certain impérialisme), la tradition des maîtres-ascètes de la montagne consistait à ne se nourrir que de ces produits naturels (moku-jiki 木食 «ne consommer que des fruits et herbes comestibles») ramassés par les fidèles. Ces derniers, montagnards et chasseurs, qui les assortissaient des protéines animales, tels des petits oiseaux ou poissons, leur apportaient parfois le produit qu'ils extorquaient aux paysans de la plaine, c'est-à-dire, du riz auquel les maîtres ne répugnaient guère.

   Dérivé de ce culte de la nature, le shintoïsme s'est vite mêlé à l'impérialisme, pouvoir politique issu de la rizière, pour devenir finalement la religion d'état dont on connait l'histoire. Quant aux astuces déployées à l'époque Édo par toutes sortes de cénobitisme pour subsister, voir un livre, bien documenté et passionnant de Takano Toshihiko: Le pouvoir d'état et les religions du Japon moderne, PU. Tokyo, 1989.

   Le bouddhisme, tard venu dans l'archipel déjà hautement et autrement saturé de spiritualité, s'est taillé depuis le haut moyen âge la part du lion. Il fallait que chacun vécût, même la religion. L'état s'en mêla. L'étymologie de nombreux toponymes, inventée pour illustrer impérialisme, shintoïsme ou bouddhisme doit être réinterprétée par le biais des autochtones montagnards dont la présence précédait l'établissement de l'état.  (À suivre).

 

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