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Philologie d'Orient et d'Occident
12 février 2013

Langue, religion et État (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (216)
                                          Le 12/02/2013, Tokyo     K.
Langue, religion et État (2)

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Citrouilles de Takayama, par Misao Wada

   L'origine aïnou de Itoshiro: tosir «vallée encaissée» ou túsir «tombe», peut infirmer deux thèses d'étymologie japonaise: l'une 石度白 Itoshiro, tirée laborieusement d'une déclaration imaginaire d'un sujet demi-dieu de l'empereur Keikô, un souverain dont l'existence semble fort douteuse, l'autre 石徹白 Itoshiro, conjecturée à partir d'un épisode de la légende du bonze ascète 泰澄 Taïtyô qui effectua en 719 la première ascension du Hakusan (cf. billet 213). Ces deux étymologies japonaises sont d'autant plus sujettes à caution que le premier emploi connu est 石同代 en 1163 (cf. billet 208).

   L'ethnie aïnou est supposée avoir précédé non seulement l'introduction du bouddhisme au VIe siècle mais encore la naissance du shintoïsme qui allait se lier avec l'impérialisme amorcé vers la fin de l'âge Yayoi, c'est-à-dire, dans les premiers siècles.

   Il est impossible qu'avant ces dates, ces habitats humains et la rivière Itoshiro, bienfaitrice depuis plusieurs milliers d'années, aient été dépourvus de noms. L'idiome dont on se servait pour les nommer n'était ni un parler qui deviendrait plus tard la langue japonaise ni celui qui fusionnerait avec elle. Il a disparu en laissant néanmoins une quantité de noms de lieu dans le pays. Les toponymes, de simples marqueurs des lieux, n'avaient pas à se doter de la signification dont le nom commun était habituellement muni.

   Cependant, désireux de doter les sons d'un sens, l'esprit antique commençait à souhaiter que ces noms propres soient pourvus, comme d'autres signes linguistiques, d'une signification dans leur langue. Car, «l'esprit ne contient pas de formes vides, de concepts innommés»  (Émile Benveniste, Nature du signe linguistique. 1939, cf. billet 1). Le vide, évidemment, cherche à être rempli.

   Les montagnards-chasseurs sont partis, évitant le contact avec les nouveaux occupants du territoire. Ces derniers ont rebaptisé, tant qu'ils l'ont pu, les noms de lieu qu'ils étaient incapables de comprendre. Kotan(-dô) («village» en aïnou, cf. billet 210), a été associé à ko-tani «petite vallée», dans la langue des hommes de la plaine. Ils ont ainsi insufflé aux mots une nouvelle vie dans leur langue. Avec un petit écart phonétique, le transfert sémantique était parfois insoupçonnable.

   On finit donc par croire que Kotan était une forme abrégée de Kotani, tronquée de la voyelle finale i. Ainsi, un grand nombre de noms de lieux dont le sens était inconnu ont été rapidement japonisés au moyen des kanji. On a constaté plus tard les mêmes transferts de sens dans Tohoku et Hokkaidô où la langue aïnou a persisté plus longtemps qu'ailleurs.

   De la même manière peut être écartée l'étymologie trop facile de Shirotori  白鳥 («cygne» en japonais), anciennement Shiratori, nom de la ville qui avoisine Itoshiro. La ville a la forme d'une botte dont la pointe est tournée vers l'est. Longue vallée encaissée, du nord au sud de laquelle coule la rivière Nagara qui, en grossissant, se jette dans le Pacifique, alors que la rivière Itoshiro conflue avec la Kuzuryû qui se déverse dans la Mer Intérieure.

   Le nom de Shirotori «cygne», teinté de shintoïsme impérial, est traditionnellement lié à la conquête légendaire du pays par l'empereur Keikô (ci-dessus). On a entendu la même chanson à propos d'I(shi)toshiro.

   Pour l'ancienne forme du nom d'une ville de Hokkaidô, 平取  Biratori, Mme Tamura donne dans son dictionnaire d'aïnou (cf. billet 191) Pirautur «entre les précipices» (pira «précipices» + utur «entre»). Hattori suggère dans son dictionnaire du dialecte aïnou (cf. billet 199) la possibilité de permutation entre pi- et si- (sirar  « rocher» / pira «précipice», p. 208). La consonne laryngale ph- peut avoir mué en bh- ou en sh-.  Le parler de Tohoku possède dans son lexique shira «pente plus ou moins rapide» dont aucun dictionnaire de dialectes japonais ne fait mention, sauf celui de Yamanaka Jôta (Tokyo, Azekura Shobô, 1968).

   J'aimerais proposer, comme étymologie de Shirotori, Pirautur dont le sens «entre les précipices» convient parfaitement à sa situation géographique. Par ricochet, cette étymologie peut influer sur le vrai sens de Shira-yama (antérieur à Hakusan, cf. billet 209) où les demi-synonymes: shira «pente» et yama «montagne», sont juxtaposés. (Fin de l'étymologie Itoshiro)

 

 

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