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Philologie d'Orient et d'Occident
22 janvier 2013

Prolongement sur l'étymologie Itoshiro (1) La vallée encaissée ou la montagne hantée par les âmes

Philologie d'Orient et d'Occident (213)

Le 22/01/2013, Tokyo K.

Prolongement sur l'étymologie de Itoshiro (1)

La vallée encaissée ou la montagne hantée par les âmes

 

banc_wada

Banc carrelé au Parc Güell (Barcelone) par Misao Wada

 

   Comme supposition, sans s'imposer comme une vraie étymologie d'Itoshiro (cf. billet 212), le nom du village situé sur le flanc sud du Hakusan Mont Blanc, l'aïnou túsir «tombe» n'a pas encore tout dit.

   Il se peut que l'étymologie d'I-toshiro ne fût ni «vallée encaissée» (tosir) ni «tombe» (túsir) en aïnou. Car rien ne nous garantit la pérennité des deux mots aïnou: tosir ou túsir, qui auraient continué d'exister tels quels (?) depuis plusieurs milliers d'années jusqu'à l'époque de la transcription des toponymes japonais en idéogrammes chinois, qui se fit, bien plus tard, après l'introduction massive dans l'archipel de l'écriture chinoise (surtout sous la forme de sûtras bouddhiques), c'est-à-dire, aux environs du VIe siècle.

   Toute la littérature (en kanji) du culte Hakusan n'apparaît qu'à partir de l'inauguration, comme lieu de culte, du Mont Blanc (appelé d'abord Shira-yama, puis sinisé en Haku-san) par un ascète-athlète shintoïste-bouddhiste 泰澄 Taïtyô (682-767), qui, selon l'éminent savant en la matière 五来重 Gorai Shigeru (1908-1993), aurait effectué en 719, afin de sacraliser le mont, la première ascension par l'étape Itoshiro (Shugen-dô reizan-no rekishi-to shinkô «Histoire et foi des monts sacrés, objectifs des prêtres ascètes» Kyoto, Hôzô-kan 2008, p. 114).

   Quant au toponyme Itoshiro, le premier spécimen en kanji n'apparaît, selon le Gifu-ken-no Timei (Noms de lieu du département de Gifu, 1989, cf. billet 208), qu'en 1163 en forme de 石同代 et quant à 石徹白, seulement au XVIe siècle. L'hésitation pour rendre -tosiro en kanji était patente. Ce qui nous a permis de cerner la syllabe -toshiro dans le cadre d'une langue étrangère qu'était l'aïnou. Car c'est la seule et la plus probable des langues déjà connues qui soit capable de fournir l'étymologie d'Itoshiro.

   Pour l'étymologie aïnou d'Itoshiro, il y a deux incertitudes. L'une concernant la pérennité des mots aïnou, je me contenterais de redire ce que je viens de dire là-dessus, faute de le vérifier. L'aïnou, langue sans écriture, l'a été longtemps. L'écriture n'y venait de toutes parts que lorsqu'il commençait à mourir. La quasi-absence de documents écrits ne nous permet pas de remonter vers l'état archaïque.

   On sait toutefois, comme une loi générale de la linguistique, qu'une langue sans écriture répugne aux changements. Les védas, hymnes sacrés indiens, se sont transmis en principe oralement dans la méfiance de l'écriture, comme les œuvres d'Homère, dans la méfiance des γράμματα (le mot n'a jamais été employé par Homère). Alors que le chinois, doté depuis presque son origine d'une écriture à double face: son et sens, s'est mué grandement ou a perdu beaucoup de l'aspect phonétique originel. Qu'en dira-t-on, du chinois classique qu'on peut lire en japonais (kan-bun) ? Le son chinois a pu muer, car l'idéogramme, élément visible, assurait l'intégrité de la langue.

   Une autre incertitude de l'étymologie Itoshiro réside dans la nécessité d'explication de la syncope dans le changement possible I(shi)toshiro en Itoshiro. Le fait s'expliquerait sans doute par l'existence d'autres oronymes tels que 朝 (asa) 熊 (kuma) > Asama, nom d'un mont à l'est d'Ise, grand lieu sacré du shintoïsme, 横 (yoko) 川 (kawa) > Yokawa à Hiei-zan, haut-lieu de la secte bouddhique 天台Tendai.

   C'est le premier cadastre des temples (延喜式 Engi-shiki, au début du Xe siècle), rédigé en kanji, qui aurait fait provenir Asama de Asakuma. Ce témoignage du Xe siècle ne nous renseigne cependant pas sur la vérité de prononciation de ces toponymes avant la fixation par kanji. Je veux plutôt croire que ces exemples en kanji: 石徹白 Itoshiro, 朝熊 Asama, 横川 Yokawa étaient autant de tentatives d'attribuer une signification, au moyen des idéogrammes, aux éléments inexplicables en japonais.

   L'étymologie d'Itoshiro ainsi circonscrite, ma tâche consistera dorénavant à imaginer quelle part de fonction assumait le village par rapport au culte du mont Shira-yama, avant l'apport des utilisateurs d'idéogrammes chinois.

   Gorai Shigeru, dans son commentaire sur les effets autant maléfiques que bénéfiques qu'exerce sur les habitants le mont Miwa-yama (au sud de Nara) hanté par des âmes errantes, s'interroge sur l'origine de la colère du mont (ibid. p. 11). Comment cette violence qui émanait du lieu sacré était-elle conçue par les anciens ?  (À suivre).

 

   

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