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Philologie d'Orient et d'Occident
19 mai 2020

Oralité et textualité (1)

     Philologie d'Orient et d'Occident (455) le 19/05/20 K.          

La prétérition homérique "(faire) voir le passé (et le futur) par allusions"

暗示的・看・過去

[anjiteki 暗示的(par allusions);kan ([faire] voir); kako 過去(le passé)

KIMG0725

Fleurs blanches (Ego-no hana) (Tokyo, Shibuya, En mars, photo par Kyoko Kudo)

   Quelques éléments distinguent la littérature d'Occident (ici caractérisée par l'Iliade) et la littérature d'Orient (pour exemple, prenons, comme il se doit, l'œuvre poétique la plus ancienne des œuvres poétiques japonaises: Manyo-shû). La différence est d'abord, graphique. L'Iliade a eu longtemps (durant plusieurs siècles) une existence orale (chantée), privée d'écriture, quoi qu'il existât déjà, au temps d'Homère, plusieurs écritures dans la Hellade. Les aèdes de l'époque, par ignorance (c'est inconcevable) ou par fierté, ils ignoraient les systèmes d'écritures manifestement présents. Le mot γράμμα "gramma (lettre, caractère)" était presque banni de leur langue de chant. "Presque" disons-nous. En effet, parmi les 27803 vers homériques (Iliade et Odyssée), un seul vers peut faire soupçonner que l'on supposait l'existence et l'usage du gramma. Il s'agit du vers 168 du chant VI  de d'Iliade. Voici le texte:

   πέμπε δέ μιν Λυκίηνδε, πόρεν δ᾽ὅγε σήματα λυγρὰ   (Iliade chant.6, v 168)  

   (Il l'envoya en Lycie, lui donna des signes lugubres)

      Celui qui est envoyé en Lycie est Bellérophon, héros grec; celui qui l'y envoya, son beau-père, dans le dessein de faire périr son gendre par la main du roi de Lycie. L'intrigue aurait été dessinée graphiquement ou transcrite en gramma. Alexis Pierron laisse une note pour cet endroit; Σήματα : On suppose que c'étaient des signes hiéroglyphiques, des images ayant  un sens convenu entre ceux qui s'en servaient. C'est l'opinion d'Aristarque. (Iliade d'Homère, Paris Hachette 1869, tome 6 [chant VI], p. 219). Selon A. T. Murray: This is the only passage in Homer which suggests knowledge of the art of writing (Homer The Iliad, The Loeb Classical Library, Harvard UP. première édition 1924. La citation est de l'édition 1978). 

    La parole d'Achille, premier héros de l'Iliade, est parfois bien curieuse. Cette curiosité aurait passé sans blesser les oreilles attentives des auditeurs, mais à l'écrit, l'absence de la grammaire est patente. Achille est une fois pour toutes l'homme de l'oralité. Ce qu'il dit nous est parfois incompréhensible. Ce qui le rapproche de Zeus.

    Voici le meilleur exemple du langage d'Achille (Iliade, chant XIX)                                     

ἄκμηνον πόσιος καὶ ἐδητύος ἔνδον ἐόντων              320

σῆι ποθῆι· οὐ μὲν γάρ τι κακώτερον ἄλλο πάθοιμι,     321
οὐδ᾽ εἴ κεν το πατρς ἀποφθιμένοιο πυθοίμην,         322

ὅς που νῦν Φθίηφι τέρεν κατὰ δάκρυον εἴβει             323

            χήτεϊ τοιοῦδ᾽ υἷος· ὁ δ᾽ ἀλλοδαπῶι ἐνὶ δήμωι              324            

εἵνεκα ῥιγεδανῆς Ἑλένης Τρωσὶν πολεμίζω·               325
ἠὲ τὸν ὃς Σκύρωι μοι ἔνι τρέφεται φίλος υἱός,            326

   εἴ που ἔτι ζώει γε Νεοπτόλεμος θεοειδής.                   327   

 

           Dépourvu de boisson et de nourriture, celles-ci étant à l'intérieur  320

           Par amour de toi. Je ne souffre d'autre mal plus douloureux          321

           Pas même si j'apprenais la mort de mon père                              322

           Qui maintenant quelque part en Phthia verse des larmes amères   323

           Par l'absence du tel fils [= moi], qui, à l'étranger                          324

           À cause d'Hélène effrayante, combats les Troyens                         325

           Ou lui qui en Scuros, s'est élevé, pour moi, mon fils                      326

           Si par hasard est encore en vie le divin Neoptolemoς                     327

   La compréhension des mots en italique et du sens global aurait pu nécessiter non pas la grammaire, mais la vision de la formule ancienne chinoise: 暗示的看過去  Comment peut-on comprendre en grammaire normative grecque le mot τὸν dans le vers 326. Par allusions (en parole), on fait voir le passé (le présent et le futur). Il ne s'agit donc pas d'une vision d'homme mais c'est celle de dieu. Ces vers ne manquent pas de rappeler à l'auteur du billet le mot français prétérition et son homologue chinois: 暗示的看過去.   (À suivre)

 

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