Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Philologie d'Orient et d'Occident
29 novembre 2011

De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (9)

Philologie d'Orient et d'Occident (153)

                                        Le 29/11/2011,  Tokyo      k.

De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (9)

Tsurayuki et le kana (1)

 

     Aucune précision n'a été faite jusqu'ici sur la date de naissance de Ki-no Tsurayuki. Selon Ôoka Makoto (cf. billet 152), il pouvait être né d'une mère geisha appartenant alors à la maison impériale (Ki-no Tsurayuki, Tokyo, Chikuma-shobô, 1971, p. 130-138). Quoi qu'on dise de cette supposition gratuite, l'existence d'une communauté de créatures féminines dans le système impérial japonais nous rappelle, à notre époque, des faits assez similaires, c'est-à-dire, par exemple, la joyeuse cohorte de jeunes filles nord-coréennes qui ne manquent pas de défiler à l'occasion des grandes fêtes nationales. Sur certains points, le continent fait persister nos vieilles traditions, voire, nos anciennes mentalités que nous trouvons maintenant scandaleuses.

      D'après le professeur Mezaki Tokue (cf. billet 152) l'année de naissance de notre poète serait 872, alors que Suzuki Tomotaro (cf. billet 150), commentateur du journal Tosa-Nikki dans l'édition Iwanami, la situe aux environs de 868.

      L'année 905 où fut édicté le décret par l'empereur Daigo qui ordonnait la rédaction du recueil Kokin-shû fut aussi celle de sa publication. Le décret impérial était donc le feu vert à la publication plutôt que l'ordre de la compilation. Le manuscrit était déjà prêt à être offert à l'empereur.

     Ki-no Tsurayuki était non seulement un des responsables de l'édition mais l'éditeur le plus important (cf. billets 149 et 150). Il se révélait donc, avant d'avoir 40 ans, grand pontife du monde poétique de l'époque. Voici la préface en kana du Kokin-shû.

     Yamato-uta fa fito-no kokoro-wo tane-to site yorozu-no koto-no-fa tozo nareri-keru.

     (Le waka, germé du cœur humain, s'est transformé en dix mille feuilles de langue)

     Autant dire : le waka, issu du cœur humain, est à l'origine de la langue (japonaise).

     Le terme 言葉 kotoba « parole, langage, langue » (< koto « parole » no « particule d'appartenance » fa « feuille »), signifie littéralement « feuilles de langue », métaphore qui appartient, avec le mot tane « germe », à la botanique.

     Dans le préambule ainsi entamé, Tsurayuki, responsable de l'édition, commente d'assez haut six grands poètes de l'époque, ses supérieurs, qui ont contribué à étoffer le recueil avec leurs beaux waka. De l'un d'eux, Ariwara-no Narihira (cf. billet 147), il décrit : sono kokoro amari-te kotoba tarazu « le cœur débordant, le langage insuffisant » (Kokin-waka-shû, Tokyo, Iwanami, 1981, p. 18).

     D'où viennent ces grands airs qu'il s'est permis de se donner pour juger d'hommes plus anciens que lui ? Lui qui n'avait pas encore atteint 40 ans à l'époque ?

     Quels étaient réellement les rapports entre Narihira, Mitchizané et Tsurayuki ? Ces trois hommes, différents de tempérament, de talent, de vocation et d'âge, étaient tous unis par l'amour de la poésie en langue japonaise. Ce qui les distinguait en effet était la prise de conscience de la nouvelle écriture kana, simplification des kanji syllabiques. Michizane, situé par son âge entre Narihira et Tsurayuki, le plus érudit des trois, était le plus porté à l'écriture traditionnelle, c'est-à-dire, à l'emploi classique de kanji.

     Sobre mais talentueux poète en chinois classique (cf. 菅家文草 Kwan-ke bunsau« Recueil des poèmes en chinois classiques », dédié à l'empereur Daigo en 900) en même temps qu'excellent wakiste, Michizane se servit, pour transcrire ses yamato-uta, de l'écriture de l'époque, c'est-à-dire, du système man'yô-kana. Dans le man'yô-kana, on avait recours aux kanji syllabiques non simplifiés. La Nouvelle Man'yô-shû, dont la première moitié était composée de ses choix, était entièrement écrite ainsi.

     Les waka du jeune Tsurayuki qui avaient figuré dans ce recueil étaient donc rédigés dans l'écriture à la Man'yô-shû. Tsurayuki savait certainement bon gré à ce grand érudit et homme politique de lui avoir accordé la faveur. Car, à partir de ce moment-là, la perspective de sa carrière d'homme de lettres était largement dégagée.

    Par ailleurs, Tsurayuki était irrésistiblement attiré par une autre possibilité d'écriture, celle du kana. (À suivre).

    

Publicité
Publicité
Commentaires
Philologie d'Orient et d'Occident
Publicité
Archives
Publicité