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Philologie d'Orient et d'Occident
8 novembre 2011

De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (6)

Philologie d'Orient et d'Occident (150)

                                          Le 08/11/2011,  Tokyo      k.

De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (6)

Tosa-Nikki, journal de bord (1)

 

     Ki-no Tsurayuki (868 ?-945) ne fut pas le seul éditeur du Kokin-Waka-shû. Voici les trois autres auxquels l'empereur Daigo confia en 905 la tâche de compiler sous son autorité le nouveau recueil poétique : Ki-no Tomonori (845 ?-907 ?), Ôshikôtchi-no Mitsune (859 ?-925 ?) et Mibu-no Tomonori (860 ?-920 ?).

     Le plus vieux d'entre eux, Ki-no Tomonori, cousin de Tsurayuki, étant décédé peu après l'édit impérial, Ki-no Tsurayuki se trouvait le plus jeune et le plus important de l'équipe. Celui-ci contribua le mieux à étoffer le recueil avec plus de cent waka (sur mille cent au total) de sa propre création (cf. billet 149).

      Le talent poétique de Ki-no Tsurayuki se serait fait remarquer au moment de la publication du premier volume du Nouveau Man'yô-shû (en 893) dont la compilation en kanji phonétiques à la manière du Man'yô-shû aurait été dirigée par Sugawara Mitchizane, homme politique savant (cf. billets 147, 149), favori du 59e empereur Uda (867-931), père de l'empereur Daigo.

     L'empereur Uda connaissait certainement cet aristocrate au talent prodigieux qui était son contemporain et apparenté avec le petit-fils du 51e empereur Heizei, Ariwara-no Narihira (825-880, cf. billets 147, 148), un autre prodige poétique de l'époque. Ce dernier devait pourvoir le recueil dont son parent éloigné allait s'occuper d'autant de poèmes que l'éditeur lui-même lui aurait fournis. Narihira fut également un grand fournisseur de waka pour le Kokin-shû.

     Selon Suzuki Tomotarô, commentateur de l'édition Iwanami de Tosa-Nikki 土左日記 « Journal de Tosa » (Tokyo, 1979, p. 76), Tsturayuki avait une grande estime pour l'empereur Uda 宇多, le pivot de toute la politique, qui voulait soutenir et protéger avant tout la poésie japonaise, héritière de la vieille tradition orale, concrétisée dans les waka, yamato-uta, aux trente-et-une syllabes (5-7-5-7-7).

     Le commentateur Suzuki suppose que l'élection de Tsurayuki au poste d'éditeur en chef du Kokin-shû, le premier recueil sous l'autorité impériale, avait été due au conseil de l'ex-empereur pour son fils, l'empereur Daigo (ibid.). En 905, Uda avait déjà cédé l'empire à son fils Daigo, pour mieux se consacrer à sa politique culturelle. Il était, à sa manière, le Gerbert d'Aurillac, cet érudit du temps d'Hugues Capet, premier roi de France qui parvint à se détacher de l'emprise germanique.

     En 930, à l'âge de soixante ans passés, Tsurayuki fut nommé gouverneur à Tosa (écrit actuellement 土佐), un pays au sud-ouest de l'île Shikoku « Quatre pays » : Sanuki (dépt. Kagawa actuel), Iyo (Ehime), Tosa (Kôtchi) et Awa (Tokushima). Il s'y rendit accompagné de sa femme, de sa petite fille et de tous ses hommes.

     En 935, au bout des cinq ans qu'il y passa en fonction, Tsurayuki était sur le chemin du retour. Il ne pouvait ramener à la capitale sa fille, décédée à Tosa. Tout son journal allait être marqué par cet incident survenu dans sa vie privée.

     Or, l'écriture kanji, système d'idéogrammes, qui servait si bien à noter clairement faits et idées, et que Tsurayuki, homme de culture, savait parfaitement manier, se révélait incapable de rendre les douleurs morales, ces sentiments profonds de l'âme. C'était sans doute la raison pour laquelle il s'est travesti et abaissé à employer le kana, écriture féminine par rapport au kanji, écriture masculine. Le kana était un système syllabique qui, dégagé des idées imposées de l'extérieur, était plus adapté à rendre l'intérieur, le fond du cœur.

     Le voyage de retour sur mer en hiver, ramenant Tsurayuki, sa femme et ses hommes vers la capitale, dura un peu moins de deux mois, avec de nombreuses escales sur la côte pacifique de Shikoku. Aux ports d'éscale, furent organisés repas et toasts d'adieu. Tsurayuki était un bon gouverneur dont le départ mettait en émoi les gens, qui noyaient leur chagrin dans l'alcool.

     Tsurayuki était sensible aux expressions des enfants ou des femmes du pays, pour la plupart incultes, ignorant l'écriture chinoise.  (À suivre).

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