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Philologie d'Orient et d'Occident
18 octobre 2011

De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (3)

Philologie d'Orient et d'Occident (147)
                                      Le 18/10/2011,  Tokyo      k.


De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (3)



     Comment l'invention du système d'écriture syllabique kana était-elle une manière d'indépendance linguistique vis-à-vis du chinois (cf. billet 146) ? Une autre explication serait possible.

     Tsuki-ya ara-nu haru-ya mukashi-no haru-nara-nu wagami-hitotsu-ha moto-no-mi-ni-shite

« Voilà une autre lune. Le printemps n'est plus celui d'autrefois, alors que moi seul, hélas, je me retrouve ce que j'étais ». (Isé-monogatari, chap. 4. Kokin-wakashû, t. 15 « waka d'amour » 5).

     L'auteur de ce waka qui me rappelle les petites bribes d'une chanson « Les jours s'en vont...  et je demeure » est Ariwara-no Narihira, un des poètes les plus talentueux du début de l'époque Héian.

     Du côté paternel, il était arrière-petit-fils et du côté maternel, petit-fils de l'empereur Kan-mu (737-806). Ce dernier, après avoir échoué dans la gestion du nouveau siège du gouvernement à Nagaoka où le centre politique ne dura, au sud de Kyoto, que dix ans, transféra définitivement la capitale impériale à Kyoto-centre et s'y fit construire un nouveau palais.

     Il inaugura ainsi la nouvelle époque, dite Heian, qui fut la période la plus longue et prospère de l'histoire de l'empire, bien qu'elle fût ponctuée par divers désastres naturels : des séismes, des tsunamis, des inondations, des périodes de sécheresse, de violentes activités volcaniques ou de grands incendies (cf. billet 123). Le terme Heian « la Paix » semblait vouloir dire, plutôt que la réalité du pays, le souhait des administrateurs. Elle dura cependant quatre cents ans à partir de la fin du VIIIe siècle.

     Le changement de capitale de Nara pour Kyoto correspondait au moment où le pays, saturé des lettres chinoises ainsi que des sciences religieuses ou des sûtras en chinois, s'orientait vers d'autres issues culturelles. Deux jeunes bonzes éclairés, Saityô et Kûkai, initiateurs de deux grandes organisations bouddhiques (Tendai et Shingon), surent tirer le meilleur parti du séjour d'un an qu'ils avaient fait en Chine, avant la fin du règne de l'empereur Kan-mu, au début du IXe siècle. La fièvre pour les études chinoises sur place était tombée, n'était plus comparable à celle du début de l'époque Nara.

     Sugawara-no Michizané (845-903), administrateur savant sans avoir étudié en Chine, abolit en 894, lorsqu'il était nommé ambassadeur en Chine, le système séculaire des bourses d'état, en mettant ainsi fin à la politique de communication bilatérale longtemps suivie depuis le début du VIIe siècle.

     Le dernier souverain T'ang fut détrôné en 907. Le pays chinois connut, depuis, une période d'insécurité qui aboutit au nouveau régime politique Song en 960. Menacé constamment par les peuplades septentrionales, le pays chinois, affaibli, ne put exercer, sur l'état de l'archipel, une influence aussi forte qu'à la période des T'ang.

     Ariwara-no Narihira (825-880) vécut donc l'époque où le gouvernement japonais se détachait rapidement de l'emprise politique et culturelle de Chine. L'avancement dans la carrière n'était plus fonction des études en Chine. Les jeunes bonzes en partance pour la Chine en 804, bien préparés à l'intérieur de leurs pays, étaient parfaitement conscients de ce à quoi il fallait procéder à l'étranger dans un séjour aussi court.

     Le Japon qui avait beaucoup appris au grand pays voisin commençait à se suffire à lui-même. Il se faisait jour en même temps un irrésistible désir d'exprimer ce qui était propre au Japon et qui ne restait exprimé jusque-là qu'imparfaitement dans le système chinois de kanji. Le style en chinois classique des Annales ne convenait pas aux besoins. L'invention d'un nouveau système d'écriture plus adapté à la langue japonaise était inéluctable.

     L'auteur d'Isé-monogatari « Historiettes d'Isé » (fin du IXe ou début du Xe siècle) est inconnu. Ce recueil se compose de 125 récits, chaque récit comportant un ou deux waka concernant la vie de plusieurs hommes dont le plus fréquemment évoqué est : Ariwara-no Narihira, car il y figure de nombreux waka de lui. Ce recueil poétique est rédigé en écriture kana. Les waka se transmettant en messages, on peut supposer que c'était lui-même qui les nota en kana. (À suivre).

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