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Philologie d'Orient et d'Occident
25 octobre 2011

De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (148)
                                      Le 25/10/2011,  Tokyo      k.


De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (4)



     Ariwara-no Narihira (cf. billet 147), poète nonchalant du début de l'époque Héian, est décédé en 883 à l'âge de 56 ans.

     Pour un aristocrate de son époque, il a joui d'une longue vie par rapport aux hommes nobles de sa condition, et il n'avait pas de quoi se faire plaindre. Il mena une vie sans grand accident, puisque, s'il n'a pas bénéficié de faveurs spéciales du gouvernement impérial, du moins il fut remarqué et choyé par la postérité dont beaucoup de femmes qui admiraient ses nombreux poèmes, d'une belle sensibilité, plutôt féminine. Il n'a surtout pas eu de ces revers de fortune qui attristaient souvent la fin de la vie des hommes renommés, comme celle du politique savant Sugawara-no Mitchizané (cf. billet 147) qui, en se faisant déporter, sur une calomnie, à Kyûshû, y finit sa vie, loin de la capitale.

     Fujiwara-no Tokihira (871-909) qui passait pour la personne qui avait dénoncé le ministre savant Mitchizane aurait été, au moment de la dédicace, le responsable de la rédaction des Nihon Sandai-Jitsuroku « Annales des trois règnes » (cf. billet 113), dédiées en 901 au 60e empereur Daigo.

    De la rédaction faisait partie, à titre égal avec Tokihira, Mitchizané. Ces deux savants, différents d'âge, de formation et de tempérament (l'un grand aristrocrate, l'autre grand pontife académique), s'affrontaient sur tout parti à prendre. Le point commun, c'est qu'ils étaient les hommes qui se battent. C'était le jeune Tokihira qui céda à son démon calomniateur (Du moins, c'est une hypothèse communément admise).

     Ces deux hommes qui s'étaient fait remarquer dans l'instruction traditionnelle de l'époque basée sur les classiques chinois, étaient extrêmement versés en lettres chinoises. Le cas de Narihira était tout autre. Dans les Annales des trois règnes existe une notice funéraire (mentionnée pour la date du 28 mai, 4e année de l'ère Gangyô 元慶, l'année chrétienne 880) faisant état de la biographie du poète Narihira qui était de vingt ans plus âgé que Mitchizané, auteur présumé de la notice.

     Du poète qui était petit-fils et arrière-petit-fils, des deux côtés maternel et paternel, de l'empereur Kan-mu qui inaugura, avec le déplacement de la capitale, l'époque la plus lumineuse en littérature de l'empire, l'auteur remarque, plutôt à la Saint-Simon qu'à la manière de La Bruyère, en excellent chinois classique :
 
      « le physique agréable, la mine sereine et l'esprit peu soucieux, décontracté.
      N'ayant presque pas de don de savoir, fit d'excellents waka »
     (Takeda-Yûkitchi, Satô-Kenzô, Kyoto, Rinsen-shoten, ré-impression 1986, p. 883.
     traduction K.)

     Par la formule hobo saigaku nakusite « n'ayant presque pas de don de savoir », qu'est-ce que l'auteur de cette note voulait dire ? Sinon qu'il disait que le fainéant Narihira n'avait pas suivi, à la diférence de Mitchizané lui-même et de son jeune condisciple Tokihira, le cursus honorablement destiné aux aristocrates de l'époque, c'est-à-dire, l'étude des classiques chinois dont la connaissance approfondie était censée indispensable sinon à la politique du moins à la rédaction des Annales, occupation des hommes de qualité ?

    Narihira n'était nullement illettré. Tant s'en faut, il devait être très bon connaisseur en kanji, éléments d'écriture qui constituaient les lettres chinoises. Il connaissait si bien l'essence de ces idéogrammes figés dans les idées qu'il était pleinement conscient de l'impossibilité de bien rendre en kanji son sentiment qui se plie aux variations de la nature ou aux caprices des femmes. Il fallait recourir à l'écritude kana, nouvelle création de la sensibilité autre que celle du continent, bien qu'elle soit basée sur le fond chinois.

     L'élégant fainéant Narihira semble se situer aux antipodes de Charlemagne, décrit ainsi par son biographe Eginhard : « il aimait à la fois l'exercice physique et l'étude, ou du moins attachait du prix à donner de lui cette image [...]. Parlant francique, il connaissait le grec et le latin, mais ne savait pas écrire » (Petit Robert II, édition 1975). Le point commun de ces deux hommes est l'amour pour la langue vivante, quotidienne et usuelle, voire pour la vie.  (À suivre).

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