Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Philologie d'Orient et d'Occident
9 février 2011

L'ouverture d'À la recherche (2) : Proust (38)

Philologie d'Orient et d'Occident (104)
                                 Le 09/02/2011, Tokyo       K.

  Bougie et lampe

                L'ouverture d'À la recherche (2)      Proust (38)

   Dans les esquisses préfigurant l'ouverture d'À la recherche, c'était « la lampe » qui éclairait l'obscurité de la chambre du Narrateur. Dans le texte définitif (1913), la « bougie » la remplaçait (cf. billet 103). L'éclairage de l'espace d'insomnie n'était ni « la lampe (à pétrole) », ni « la lampe (de chevet) électrique » qu'on pourrait supposer sans aucun anachronisme :

Vous a-t-on dit que l'hôtel particulier que vient d'acheter madame Verdurin sera éclairé à l'électricité ? […] Jusqu'aux chambres qui auront leurs lampes électriques avec un abat-jour qui tamisera la lumière (À la Recherche du temps perdu, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade » 1954, t. 1, p. 607).

     Dans Un amour de Swann dont les événements s'étaient passés bien avant l'utilisation d'électricité, le Narrateur moderne dit, omniscient :  

[…] éteindre toute lumière dans son intelligence, aussi brusquement que, plus tard, quand on eut installé partout l'éclairage électrique, on put couper l'électricité dans une maison. […] la même sensation d'étouffement que peut causer aujourd'hui à des gens habitués à vingt ans d'électricité l'odeur d'une lampe qui charbonne ou d'une veilleuse qui file (ibid., p. 268-269).

     En 1880, Sarah Bernhardt (1844-1923), en tournée aux États-Unis, fut accueillie par Edison dans un immense flot de lumière à incandescence. Elle se fit enregistrer la voix dans le phonographe, une autre invention électrique. L'électricité était commercialisée en France dès le début des années 80. Ce qu'aurait reflété le nouvel hôtel de Madame Verdurin. Même une poire pour sonner était électrique (ibid., t. 3, p. 11, p. 123).   

    Tout cela nous incite à croire que le moment présent de la phrase de l'incipit était une période de transition des lampes à l'électricité, où le Narrateur, ayant déjà longtemps vécu, était sur le dernier quart de sa vie. Cependant l'éclairage demeurait à l'ancienne dans le roman. Sur une soixantaine d'emplois lampe(s) (selon le Vocabulaire de Proust d'Étienne Brunet, Genève, Slatkine, 1983), beaucoup sont des lampes (soit à huile, soit à pétrole).
     Selon le Lexis (Larousse, 1975), le mot lampe pouvait, à partir de 1888, signifier tout seul « lampe électrique ».

    Brunet recense quinze emplois de « bougie(s) ».
    Quatre concernent la vie à Combray dont le Narrateur se ressouvenait dans les nuits d'insomnie. C'est l'époque de visites de Swann chez « ma grand'tante » et de drames du coucher du jeune Héros : la « bougie de maman » et la « bougie de mon père » qui montent dans l'escalier (ibid., p. 35). Maintenant, « la muraille de l'escalier où je vis monter le reflet de sa bougie [à mon père] » n'existe plus (ibid., p. 37). Et c'est à la clarté d'une bougie que Théodore, chantre et garçon épicier de Combray, fait voir la crypte (ibid., p. 62).

    Dans Un amour de Swann, deux bougies : Swann, jaloux, en alluma une pour lire par transparence une lettre qu'Odette lui demandait de mettre à la poste (ibid., p. 282). Chez Madame de Sainte-Euverte, il y eut une exécution musicale. Sur le piano tressautait une bougie à chaque fortissimo (ibid., p. 336).

    Dans les Jeunes filles, le Narrateur, jeune encore, examine à la lumière d'une bougie le visage de La Berma dans une photo qu'il avait achetée (ibid., p. 488).

    Trois bougies proviennent du séjour du Narrateur à Doncières, ville de garnison de Saint-Loup (ibid., t. 2, p. 97, p. 396). Ce serait vers 1890 si le Narrateur était calqué sur l'auteur.

     Trois bougies dans la Fugitive dont un emploi métaphorique (ibid., t. 3, p. 627). Un autre concerne la bougie dont Albertine, prisonnière, habita longtemps la flamme  (ibid., p. 523). Enfin, c'est la bougie que ma mère, dans sa précipitation, avait emportée de ma chambre (ibid. p. 567).

    Sur le tard, le Narrateur passa quelques jours chez Gilberte, Mme de Saint-Loup, à Tansonville, près de Combray. Il lui emprunta un volume pour dormir :

    Et quand, avant d'éteindre ma bougie, je lus le passage […] (ibid., p. 708).

    C'est cette dernière bougie qui communiait avec celle de l'ouverture. Le Narrateur qui se retournait dans son lit était déjà vieux. Mais le décor qui l'entourait était celui d'un vieil adolescent.  (Pause).

Publicité
Publicité
Commentaires
Philologie d'Orient et d'Occident
Publicité
Archives
Publicité