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Philologie d'Orient et d'Occident
3 novembre 2010

Du général au particulier : à la recherche d'un nom (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (76)
                                      Le 03/11/2010, Tokyo    K.

Du général au particulier : à la recherche d'un nom (2)
                                     Proust (10)                                   

     A propos du patronyme Simonet, l'auteur du présent article a un souvenir particulier, un peu analogue à l'enquête onomastique du Héros-Narrateur proustien.

     L'été 1986, Kawamori Yoshizô (1902-2000), membre de l'Académie des beaux-arts (cf. billet 73), s'est rendu à Limoges, depuis Paris où il séjournait alors. M. Kawamori menait une enquête sur l'écrivain-poète japonais Shimazaki Tôson (1872-1943) qui séjourna trois ans en France (1913-1916). Shimazaki, comme poète, fut grand maître de la poésie moderne japonaise qui s'était transmise par Hagiwara Sakutarô (cf. billet 47), jusqu'à Nishiwaki Junzaburô ou à Miyoshi Tatsuji.

    Un an après son arrivée en France, lorsque la Guerre éclata, Shimazaki dut quitter Paris pour aller se réfugier à Limoges sur le conseil de sa logeuse parisienne Mme Simonnet (avec deux n) qui était limougeaude. Mon maître Kawamori voulait en savoir plus sur Mme Simonnet et surtout connaître son prénom et sa date de naissance.

    Je me souviens que j'ai eu, alors, à téléphoner, avec l'annuaire de Limoges dans la main, à quelques familles Simonnet de la ville. Cette démarche aussitôt réussie, nous avons pu interviewer avec l'aide de mon ami de Limoges, Jean-Pierre Levet, un neveu de Mme Simonnet, Edouard Mathelin, un des grands bouchers grossistes.

    C'était par ce dernier que nous avons appris le prénom de Mme Simonnet, Marie, née en 1857 à Vicq-sur-Breuilh, au sud de Limoges, décédée et inhumée à Boisseuil au caveau de la famille Besse. Son livre « Le Paris de Tôson (Shimazaki) » sorti de ses enquêtes en France rapporta en 1997 à M. Kawamori le grand prix littéraire du quotidien Yomiuri. A l'époque, ayant lu tout Proust, je regrettais que son patronyme ne fût pas Simonet* avec un seul n. Marie Simonnet, contemporaine de Saussure, est décédée un an avant Shimazaki qui était presque de la même année que Proust.

     Revenons donc au Héros-Narrateur proustien à la recherche du nom d'une des jeunes filles de la plage. Le nom que le Narrateur avait entendu dire sur la digue par une dame correspondait à celui qu'il trouva à la première page de la liste d'hôtes. Mais il ne savait pas laquelle des jeunes filles était Mlle Simonet, encore moins le prénom de la fille qui le préoccupait. L'impossibilité de les dénommer toutes du seul nom de Simonet le mit un instant dans un curieux état euphorique : « Je n'en aimais aucune, les aimant toutes, […] » (A la recherche du temps perdu, « Bibliothèque de La Pléiade », 1954, t.1, p. 832).

      En l'absence de Saint Loup, qui connaissait tous les noms des jeunes filles, parti à Doncières, le Héros-Narrateur, las de s'enquérir de leurs noms et même d'y penser, décida à rendre visite à l'atelier du peintre Elstir (Whistler était un de ses modèles) qui habitait en dehors de la ville et qui l'y avait invité auparavant. C'était là-bas que la jeune fille qui ne cessait de le préoccuper apparut soudain :

    « Je regardais vaguement ce chemin campagnard […]. Tout à coup y apparut, […] la jeune cycliste de la petite bande avec, sur ses cheveux noirs, son polo abaissé […] je la vis sous les arbres adresser à Elstir un salut souriant d'amie, […] » (ibid., t.1, p. 843-844). C'était bien elle ! Le Narrateur demanda au peintre s'il la connaissait.
    « Elstir me dit qu'elle s'appelait Albertine Simonet et me nomma ses autres amies […] »
(ibid., p. 844). La présentation du Héros à la jeune fille n'eut pas lieu à cette occasion. Il fallut attendre une matinée organisée par Elstir pour que ce dernier lui présente officiellement Albertine Simonet.

     Entre-temps, le Narrateur se dit : « ce nom de Simonet que j'avais déjà entendu sur la plage, si on m'avait demandé de l'écrire je l'aurais orthographié avec deux n, ne me doutant pas de l'importance que cette famille attachait à n'en posséder qu'un seul. » (ibid., p. 845). Ce passage, l'avais-je à l'esprit cet été 1986 à Limoges ? 

   *N.D.A.  C'est en effet dans cette orthographe (Simonet) que Shimazaki transmit, le 2 juin 1914, son adresse parisienne au quotidien Yomiuri (Œuvres complètes Shimazaki Tôson, vol 17, Tokyo, Chikuma-Shobô, 1968, p. 207).    (A suivre)

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