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Philologie d'Orient et d'Occident
5 octobre 2010

De Nishiwaki Junzaburô à Proust

Philologie d'Orient et d'Occident (67)
                                      Le 05/10/2010, Tokyo     K.

    De Junzaburô à Marcel   :   Proust (1) 

 

Fini le sentier d'été, 
Finie aussi la promenade solitaire
Entre le rocher sombre et les ronces noires
Luit le ventre de poisson
De nouveau vers le monde réel, visible
Me diriger vers les noix d'ormes
À l'aube d'un jour d'automne
Se lève une flamme couleur abricot
Et les murmures blancs de peupliers
Et les ronces sauvages dont la volupté tarit
Se mettent à marcher dans le sentier d'automne
Maudit par la Erinys, décor des mortels
S'en retourner à l'origine n'est plus possible
Le rideau fermé
Songez au temps perdu
Tel Prou(st) asthmatique
Disons seulement que le passé, dans le jardin sombre aux nerfs enracinés,
Est chaotique, de couleur violette pâle
Sombre crépuscule des dieux
[...]  (Le Temps perdu, chap. I, 1960)

     Tel est le tout début du premier chapitre d'une longue séquence poétique (4 chapitres en 93 pages) intitulée « Le Temps perdu » où figure le nom de Prou(st), st tronqué. Il transcrit Proust (en kana) quand il préconise, dans un article japonais intitulé Le Monde des jeunes littéraires, la transparence picturale : « Le roman de Proust m'a semblé constitué des rayons qu'on a dessinés sur le lit, derrière le rideau, comme un paysage d'un XVIIIe siècle est fait des rayons transparents de l'intérieur ». (Nishiwaki Junzaburô, Œuvres complètes, Chikuma-shobô, t. 3, p. 199). Les yeux critiques de Nishiwaki étaient ceux d'un peintre. Il est certain qu'il a lu au moins une partie du roman.

     Nishiwaki a débarqué à Londres en septembre 1922, l’année du décès de Proust. La traduction de Du côté de chez Swann (1913) en anglais, Swann's Way, avait été déja faite, du vivant de Proust, en 1920 par un officier en retraite. « Sans Scott Moncrieff, [...], écrit Gilles Barbedette dans le Monde du 13 janvier 1989, Proust n'aurait pas connu aussi tôt, et aussi définitivement, une gloire absolue dans les pays anglophones ». Nishiwaki, même sans y faire beaucoup d'attention, aurait été au courant de cette publication qui a gagné d'emblée la notoriété en Angleterre. Au début, le roman a plus attiré de lecteurs anglais que de français.

     J'ignore s'il l'a tout lu ni à quel moment, ni en quelle langue. Le jeune traducteur anglais Scott Moncrieff mourrait en 1930. Nishiwaki est rentré au Japon en 1925 avant qu'on ait tout publié de l'œuvre en France. On n'a fini par publier À la recherche du temps perdu en entier qu'en 1927. La compétence de Nishiwaki qui pouvait écrire de fins poèmes en français était telle qu'il n'aurait pas eu besoin de recourir à la traduction en anglais.

     Sa parodie poétique en japonais Ushinawareta-Toki « Le Temps perdu » nous présente certes des variations de plusieurs thèmes proustiens de Du Côté de chez Swann : promenade dans la verdure, noms de plantes, flore, rencontres avec des gens du pays, conversations avec eux, lectures, parler de littérature, souvenirs de voyages à l'étranger, femmes, pensées philosophiques d'éternité et de tristesse, etc.

     A Combray, un jour de forte chaleur, le jeune Narrateur est étendu sur son lit :

     (...) un livre à la main, dans ma chambre qui protégeait (...) sa fraîcheur transparente et fragile contre le soleil de l'après-midi derrière ses volets presque clos où un reflet de jour avait pourtant trouvé moyen de faire passer ses ailes jaunes, (...). (Pléiade 1954, t. 1, p. 83)

     Nishiwaki le peintre aurait été sensible à tel passage visuel.
     Proust est allé outre.

      

Il faisait à peine assez clair pour lire, et la sensation de la splendeur de la lumière ne m'était donnée que par les coups frappés dans la rue de la Cure par Camus (...) contre les caisses poussiéreuses, mais qui, retentissant dans l'atmosphère sonore, spéciale aux temps chauds, semblaient faire voler au loin des astres écarlates ; (...)  (ibid.)

      Il a voulu traduire la sensation visuelle de la lumière d'été en coups sonores contre les caisses. L'œil écoute pour Claudel  ; l'oreille voit pour Proust .   (A suivre pour Proust)

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