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Philologie d'Orient et d'Occident
18 mai 2010

Voyelles e et i en japonais ancien - Alternance vocalique et palatalisation

Philologie d'Orient et d'Occident (27)   Le 18/05/2010, Tokyo

Voyelles e et i en japonais ancien
- Alternance vocalique et palatalisation -

[i = i antérieur ; ı = i central]

     L'existence réelle des deux e (< i + a et a + i) en japonais archaïque n'est pas seulement un problème de procès historique, voire étymologique. L'établissement du système verbal japonais est très lié à la nature des deux e. Comme dans la plupart des langues indo-européennes, l'alternance vocalique a servi à diversifier les fonctions du verbe. La différence de signification entre deux formes apparemment identiques du verbe yuku « aller » : yuke(-ba) « étant allé » et yuke ! « va !» tenait à la qualité de la syllabe -ke. Le ke de yuke(-ba) est censé être de contraction de k[ai], le ke de yuke « va ! », de k[ia]. Le e japonais est de formation tardive.
     La prononciation de ces deux -ke n'était pas identique, reflétant la provenance de la voyelle e et légitimant du même coup, au début de l'écriture japonaise, le choix du kanji pour la noter. La formation des deux e avait une réelle importance grammaticale.
     L'alternance vocalique du japonais du verbe yuku (yuka-, yuki-, yuku, yuke-, yuke !) est plutôt proche du grec (λεἰπω / ἔλιπον / λέλοιπα « je laisse / je laissai / j'avais laissé ») ou du sanskrit (√ ji / jayati « vaincre / il vainc ») que du chinois où le procédé guna très fréquent en indo-européen ne paraît pas exploité de façon aussi systématique.

     Ce qui prédomine dans l'histoire phonologique du chinois ancien, ce n'est pas l'alternance des voyelles mais l'existence des yô-on 拗音« son tordu (palatalisé) » (cf. billet 16) et des semi-voyelles (i, ı, u) qui servaient à tordre (palataliser) les consonnes.

     En chinois archaïque, il y aurait eu deux i : i antérieur et i central, ce dernier noté ı. Ces deux voyelles pouvaient fonctionner non pas comme voyelles de noyau qui dominaient les groupes vocaliques (cf. billet 19), mais simplement comme outils d'intervention (semi-voyelles). Dans les mots : 汝 niag « toi » et 魚 ngıag « poisson », la voyelle de noyau était -a- dans les deux cas, i et ı ne servant qu'à palataliser les consonnes précédentes (n et ng). Les parties vocaliques de ces deux mots (-iag et -ıag) appartenaient au groupe -ag, un des trente vocaliques (cf billet 19). On peut supposer que ces deux i (antérieur et central) provenaient de la palatalisation de la voyelle u (u → ü → ı  →i). Seule u pouvait être une voyelle de noyau : -(ı)ug, -(ı)uk.
     On ne distinguait plus, à partir du début du XIVe siècle où le cadre linguistique du chinois moderne du nord venait de se constituer, les deux i dont l'existence datait de la plus haute antiquité (Dictionnaire Tôdô, p. 1572).

     Or en japonais ancien, les deux sortes de notation en kanji de la voyelle i, observées seulement dans les syllabes : ki(gi), phi(bi), et mi des premiers documents japonais (VIIIe siècle), reflétaient la divergence de ces deux i (i et ı) dans la phonologie chinoise. Telle est l'opinion du Dr Tôdô (p. 1579 de son dictionnaire). 伎 était ki « art » mais 木 « arbre » ; 日 hi « jour » mais 火 « feu » ; 三 mi « trois » mais 身 « corps ». Les plus anciens scribes japonais, d'origine ou de formation chinoise, savaient les distinguer.
    Sur le problème des deux i en ancien japonais, le linguiste Katsumi Matsumoto a émis, du point de vue phonologique, l'opinion suivante : « On peut supposer que, devant le ı (central) qui provenait de oi, ui, les consonnes restaient non palatalisées, alors que dans le Japon de la haute antiquité (du VIIe au VIIIe siècle), les consonnes ont été réalisées en général par la palatalisation devant i (antérieur). Ki était [kji], [kui].» (p. 38 Kodai-Nihongo-Boïn-ron, cf billet 21). Quoique leurs démonstrations soient indépendantes l'une de l'autre, les deux savants s'accordent pour reconnaître que la différence des deux i était bien fondée.(A suivre)

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