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Philologie d'Orient et d'Occident
15 septembre 2015

Un autre Moyen Âge (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (333)

Troc chinois et échange grec - Un autre Moyen Âge (4) 

Le 15/09/2015     Tokyo     Susumu Kudo

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Coquillage par Misao Wada (cousu main)

 (Suite au billet 331)

   Souhaitant vérifier l'affirmation de Maalouf: «l'héritage de la civilisation grecque n'aura été transmis à l'Europe occidentale que par l'intermédiaire des Arabes, traducteurs et continuateurs» (cf. billet 332), j'ai demandé par courriel, à mon illustre ami de Limoges, Jean-Pierre Levet, helléniste, comparatiste et lecteur bienveillant de mes petits billets (cf. 81, 100, 320), quelle était son idée de la date des premières traductions d'Homère en arabe. Sa réponse m'est arrivée le jour même:

   Les grands textes grecs (philosophiques, scientifiques, littéraires) ont d'abord été traduits en langue syriaque entre le IIIème et le VIIIème siècle. Le syriaque, langue sémitique qui descend de l'araméen, était parlé par des chrétiens vivant dans les empires perse et byzantin. A partir de 832, date de la fondation à Bagdad par les musulmans de l'«Ecole de la sagesse», ces textes syriaques ont été traduits en arabe par des savants chrétiens, juifs et musulmans; d'autres textes ont été traduits en arabe directement du grec. L'empire byzantin avait envoyé des savants à Bagdad sur ordre de l'empereur. A ma connaissance, la première traduction d'Homère a été faite en syriaque avant 832, puis en arabe après 832, mais les Arabes s'intéressaient surtout aux textes philosophiques (Platon, Aristote) et scientifiques (mathématiques, médecine, astronomie, botanique). Les traductions arabes ont été transmises à l'Occident chrétien et latin d'abord par le sud de l'Espagne (Andalousie, Tolède), puis par le sud de l'Italie.

    Voilà l'assertion de Maalouf bien affermie! Le grec, langue indo-européenne, une fois traduit en syriaque, langue sémitique, n'aurait pas été difficile à l'être en arabe. Il faut ajouter que c'était une époque où chrétiens, juifs et musulmans étaient en meilleure entente.  

   Je lui ai envoyé un autre courriel:

   «Dans mon dernier billet (publié le 18/08), j'ai évoqué une éventuelle correspondance entre l'indo-européen *dô- "donner", le hittite *dâ- "prendre" et le chinois ancien: *dhiog > *d(h)œ, ʒıəu (d'après le dictionnaire Tôdô) pour le même mot à deux faces sémantiques: 授 "accorder" et 受 "recevoir". Je pense que ces quatre éléments, deux de l'indo-européen, deux du chinois, remontent à une seule souche. Qu'en penses-tu ? J'imagine également, pour ce genre de correspondance, une autre paire de mots à lecture identique pour deux notions contrastées: (vente-achat, commerce)

    «vendre, vente» 賣 mĕg (3000 ans BP) > măi (mbăi) > mai > mài (moderne)

    «acheter, achat» 買 mĕg (3000 ans BP) > măi (mbăi) > mai > mǎi (moderne) (selon le Tôdô)

   Seulement lorsque le troc s'est transformé en deux actes bien distincts "acheter" et "vendre", le même mot (mĕg) a commencé à disposer, comme le cas 授受 (⇽受), de deux caractères différenciés par un petit ajout (⇽買) et peut-être par l'accent (cf. mài/mǎi). N'y a-t-il pas, en langues i-e., un mot commençant par *mV et signifiant quelque chose comme "troc"?»  

   Et voici la réponse du comparatiste:

   Tous les faits linguistiques que tu cites s'expliquent bien par le troc, qui implique que "prendre" et "donner" ou "remettre" puissent être exprimés de la même façon. L'exemple le plus caractéristique est celui de hittite "prendre", qui relève de la racine *deh3-, celle de dônum, dânam, dadâti, didômi, dare etc. "donner", "don". Le rapprochement que tu proposes avec un verbe chinois est plausible. Pour l'expression du troc, on pourrait penser au verbe grec ameibomai, dont la racine est *h2mei- (thème II), soit au thème III *(h2)mi-. Pour ce qui est de l'étymologie, Chantraine et Beekes établissent une comparaison avec le verbe sanskrit ni-mayate [échanger] (de *(h2)-mei-). Frisk rapproche avec prudence de latin mûnus [charge, fonction] à partir de *mei-/moi-. La laryngale initiale -h2 [*a-, en l'occurrence] devant consonne n'a laissé de trace que dans un petit nombre de langues i.e. Un rapprochement avec les verbes chinois serait-il possible? La question me paraît très intéressante. (...) Dis-moi ce que tu penses des étymologies que je viens de citer.

   En effet, sans ton enseignement, jamais il ne me serait venu à l'idée que la racine du verbe ἀμείβομαι "donner en échange" qui servait à former les formules homériques d'introduction de discours, telles: - ἀμειβόμενος δὲ προσηύδα; τὸν δ᾽ ἠμείβετ᾽ ἔπειτα; τὸν δ᾽ ἀπαμειβόμενος προσέφη - , pût être en lien quelconque, voire, génétique avec un autre mot chinois à deux faces: 賣買 mĕg-mĕg «vente-achat».  (À suivre)

 

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