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Philologie d'Orient et d'Occident
19 mai 2010

La survie d’un archaïsme vocalique ? - Voyelles u et i dans un parler du nord-est au Japon

Philologie d'Orient et d'Occident (28)

             Le 19/05/2010, Tokyo     K.

La survie d’un archaïsme vocalique ?

- Voyelles u et i dans un parler du nord-est au Japon -

   

    Hidéo Inoué fut un de nos bons maîtres au lycée que j'ai jadis fréquenté, voilà plus de cinquante ans, dans les années 1956-1958. Il était originaire de Shikoku (une des îles du sud, pas trop loin de Kyoto).
    Cacique de sa promotion, avant la dernière guerre, à la Faculté impériale de Tokyo, il avait été envoyé à Berlin et n'avait pas encore achevé sa thèse de doctorat lorsque la guerre éclata. La défaite le ramena au Japon dans des décombres plus affreux encore qu'en Allemagne. Pour échapper, dit-on, à la poursuite du Quartier Général d'Occupation qui sévissait alors contre les éléments considérés comme pro-allemands, il vint vivre, en qualité de simple chargé de cours, dans une petite ville du nord du Japon, rejoint plus tard par son compatriote (de Shikoku), Kôïchi Masuda, nommé proviseur au lycée. M. Inoue nous dit un jour :

     - C'est incroyable ! Même le meilleur d’entre vous ne peut donner la bonne lecture du kanji 息子 (musuko « fils ») !
    Ainsi, il nous a snobés, nous qui arrivions difficilement à distinguer entre su et shi. Un de nous aurait donné du kanji la lecture mushiko au lieu de musuko, une faute que n'auraient jamais commise les gens du sud comme lui.
    La nécessité d'interpréter notre en shi ou su, quand on écrit, nous a toujours mis dans l'embarras. Nous nous contentions de donner un peu au hasard un des deux kana :し shi ou す su à cette syllabe unique pour nous. L'un des deux nous semblait inutile. Sushi était donc soit susu soit shishi.

    Un médecin catholique atypique, Harutsugu Yamaura (1940-) raconte un épisode du même acabit dans son manuel extraordinaire du parler du nord-est (Ke-sen-go Nyûmon, « Introduction à la langue Ké-sen », 1986, Ôhunato). Une grand-mère de l'auteur, incapable de comprendre, lorsqu'elle commençait à apprendre l'écriture, pourquoi un seul son (syllabe contenant i central) correspondait à deux kana, le demanda au maître, qui, lui-même samourai du fief de Sendai, instruit à sa façon, ignorant la raison pour laquelle la syllabe pouvait s'exprimer en japonais standard en deux kanaし et す, ne put donner satisfaction à la petite fille légitiment curieuse.

   Ces deux épisodes peuvent témoigner suffisamment de la survivance, dans le nord-est du Japon, du vocalisme ancien en quatre voyelles : a, ı (< ü < u), e, o. Je suis contre l'idée d'après laquelle le parler du nord-est serait un dialecte dégénéré du japonais du centre. Au contraire, il précédait ce dernier. Dans le japonais du centre, ı (i central) fut palatalisé pour devenir finalement i antérieur. C'est œ (< o ou < u) qui occupa le trou phonétique laissé par u. Le [u] japonais est devenu [œ].

   Ce qui caractérise le parler du nord-est n'est pas seulement le vocalisme, mais la survie des nasales et du souci des nasales (cf. billet 10). Ces deux traits ne manquent pas de nous rappeler certains aspects du chinois ancien.

    L'accentuation (pénultième) du parler du nord-est est très distincte du système à quatre voix à la chinoise. Mais si on se rappelait l'accentuation à deux temps (plat-ascendant / bas-descendant) du chinois ancien, l'écart ne serait pas aussi grand. Ce qui me frappe, c'est plutôt sa ressemblance avec l'accentuation aïnou.
    « L'accent aïnou, bas en général, se fait remarquer là où il se relève, alors qu'en japonais standard, uniformément haut, il faut observer où il descend » (p. 870, The Ainu-Japanese Dictionary - Saru Dialect. Suzuko Tamura, Tokyo, Sôhû-kan, 1996).
   Dans le parler du nord-est, l'accent est généralement bas et monotone. Il s'élève seulement à la pénultième ou à la finale, jamais au début. Je suis d'avis que l'accent du parler du nord-est tient ses caractéristiques de l'aïnou qui avait longtemps prévalu dans le nord de l'Archipel et semé dans le pays de nombreux toponymes aïnous.

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