Philologie d'Orient et d'Occident (158)
                                            Le 03/01/2012,  Tokyo     k.

  Le syllabisme japonais et le système phonologique
Le kana et le hangŭl



     Le phonétisme de la nouvelle écriture kana est essentiellement syllabique. La différence est de taille entre le kana et l'alphabet qui sert d'écriture dans la plupart des langues modernes d'Occident. Diviser le signe か ka en deux éléments dont l'un signifierait k, l'autre a, est absolument impossible. En plus, entre les cinq kana de la colonne ka : か (ka), き (ki), く (ku), け (ke)  et こ (ko), aucun élément morphologiquement commun qui puisse correspondre à k- en alphabet.

     La syllabe alphabétique est constituée en principe de deux phonèmes : consonantique (qui peut être nul) et vocalique, tandis que l'ignore le kana dont l'écriture syllabique n'est pas analysable en phonèmes. Le système kana, sans être pourvu de notion de phonème, en reste au stade des syllabes.

     Exprimer une syllabe par des représentants phonémiques ne revient pas seulement à l'alphabétisme d'Occident.

     La devanagari indienne, écriture dont chaque unité est analysable en phonèmes, date d'une époque bien antérieure à l'ère chrétienne. Pânini, prêtre hindou qui vivait en Inde du IVe siècle avant J.-C. procéda, avec une rare rigueur méthodologique, à une classification des éléments phoniques et, en même temps, à une analyse de la morphologie du sanskrit. Les méthodes de Pânini étaient intimement liées avec la nature de la langue transmise oralement, dont la structure avait engendré, d'elle-même, un principe d'écriture ultramoderne.

     Le grammairien Pânini n'a pas travaillé aux textes écrits. Son analyse de la phonétique et de la grammaire n'est pas été produite par un coup de génie mais à la suite d'une longue transmission de tradition orale. La pratique mnémotechnique, dont on voit un exemple remarquable dans Pânini, vient de l'ancienne tradition orale indienne. Elle est toujours bien vivante à l'époque moderne : témoins ces Indiens, tous excellents ingénieurs en ordinateur, qui peuvent travailler sans fichier.

    La langue coréenne avait sans doute des liens assez forts avec celle de l'archipel, surtout avant que l'écriture n'entrât en scène. Les Coréens furent dotés à partir du milieu du XVe siècle du hangŭl, excellent système d'écriture phonologique, comparable au sanskrit dans sa clarté et son efficacité. Les documents coréens antérieurs à cette date étaient notés en kanji, ne reflétaient pas la vérité de la langue. On connaît donc assez mal ce qu'était en vérité le coréen ancien, avant le XIIIe siècle, qui devait être très différent du chinois. On peut supposer que l'institution de la nouvelle écriture empêcha les usagers de s'assurer de la continuité des deux états ancien et moderne de la langue.

     Depuis son invention en Corée, le hangŭl, grâce à son apprentissage et son usage aisés, a permis un renouveau culturel étendu, et a eu une influence bénéfique en bien des points. Mais celui qui voulait remonter à une origine commune en recherchant une filiation linguistique bien possible entre l'archipel et la péninsule s'apercevait rapidement que cette écriture constituait une barrière pour bien mener son travail. Avec le hangŭl dont le principe n'a rien à voir avec les idéogrammes, nombre de Coréens ont désappris les kanji, cette écriture munie des sons et des idées. Ils étaient en quelque sorte éloignés de leur ancienne culture basée sur les idéogrammes.

     Alors dans l'archipel Nippon, cela s'est passé autrement. Les Japonais se sont détachés difficilement de l'emprise culturelle de la Chine. Le kana, nouvelle écriture confectionnée à partir des kanji, n'était pas un système radicalement nouveau, mais revenait à l'utilisation de kanji outrageusement simplifiés dont l'origine n'était pas entièrement abandonnée.

      Une simple syllabe ya, par exemple, évoque plus d'un sens : flèche 矢, vallée 谷, huit 八, nuit 夜, maison (famille)  家, pré 野, etc., bien que le kana や soit venu d'un tout autre kanji, la particule d'affirmation, 也. On veut toujours faire remonter une syllabe à quelque chose de connu. En japonais, le rapport entre l'unité minimale de l'écriture et son sens n'est pas arbitraire. (À suivre).