Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Philologie d'Orient et d'Occident
11 avril 2023

L'accusatif à multi-fonctions (1)

Philologie d'Orient et d'Occident (512)   Le 14/04 2023, S. Kudo

L’accusatif aux multi-fonctions, restes de l’indo-européen ?

CIMG0149

Un restaurant-chaumière en Limousin (photo S. K.)

 

  Pierre Chantraine distingue, dans sa Grammaire Homérique II, syntaxe (éditions Klincksieck, Paris, 1981, p. 38), deux types d’accusatif parmi les cas nominaux : l’accusatif d’objet direct (avec des verbes transitifs), les accusatifs d’objet interne, de direction, d’extension spatiale ou temporelle, de relation. C’est ce dernier type d’accusatif souligné en italique qui nous intéresse tout particulièrement. Car, seul (c’est-à-dire, sans être accompagné d’aucune particule au rôle grammaticalement subordonné), il peut être à la fois comme objet direct d’un verbe transitif et sujet d’un autre syntagme verbal. Voici quelques échantillons dans le texte homérique :

δεῦρ᾽ ἴθ᾽ Ἀλέξανδρός σε καλεῖ οἶκον δὲ νέεσθαι. (3, 390)

(Viens ici, Alexandre te demande de rentrer à la maison)

[Le pronom à l’accusatif σε est posé ici comme objet direct du verbe καλεῖ ainsi que sujet de l’infinitif νέεσθαι]

  L’accusatif de ce genre apparaît assez souvent non pas seulement au début de l’œuvre mais un peu partout : voici un exemple au chant 24 dont nous continuons actuellement la lecture :

    Διὸς δέ τοι ἄγγελός εἰμι (…) (24, 173)

    ὅς σευ ἄνευθεν ἐὼν κήδεται ἠδ' ἐλεαίρει. (24. 174)

    (Je suis messager de Zeus qui, loin de toi, te soigne et ai pitié de toi)

    λύσασθαί σ᾽ ἐκέλευσεν Ὀλύμπιος Ἕκτορα δῖον, (24,175)

    (Zeus te demande de λύσασθαί « racheter avec rançon » le divin Hector).

  Le pronom σε se présente ici avec deux fonctions : nominale et verbale, voire, objet direct du verbe κέλευσεν, et sujet de l’infinitif aoriste λύσασθαί de λύω « se (faire) délivrer ».

  Ce type d’expression se voit dans les langues modernes avec les verbes tels : faire, laisser, voir, écouter, entendre, sentir etc. avec signification rendue surtout par les verbes qui concernent les organes de sensation.

  Je t’entends marcher au premier étage de la maison ; Je vois le poulain s’ébattre dans le pré. Ici, le pronom te (mis à l’accusatif) et le nom d’animal poulain (mis aussi à l’accusatif) sont tous les deux objets directs, l’un du verbe entendre, l’autre du verbe voir. En même temps, ces deux termes se posent en sujet des syntagmes verbaux, l’un de marcher, l’autre de s’ébattre. La langue homérique ne peut rendre textuellement ces constructions modernes :

  La phrase homérique : Ἀλέξανδρός σε καλεῖ οἶκον δὲ νέεσθαι ne peut se transformer directement en : Il te demande rentrer à la maison. Ni λύσασθαί σ᾽ ἐκέλευσεν Ὀλύμπιος Ἕκτορα δῖον en Zeus te demande racheter le divin Hector. Ces deux constructions qui manquent la particule de qui est d’usage dans la langue moderne sont évidemment considérées insuffisantes ou défectueuses. Cette particule « de » fait état du processus de changement d’une langue synthétique qu’est le grec archaïque en une langue analytique qu’est le français moderne.

  Et ce passage d’un état en un autre état est d’importance dans le sens où l’accusatif du temps homérique pouvait, du moins, couvrir le champ sémantique plus vaste qu’aujourd’hui. En un mot, les deux langues ancienne et moderne, en ce qui concerne les emplois de l’accusatif, se distinguaient considérablement.

  Le vaste champ sémantique de l’accusatif archaïque est expliqué en détail dans la Grammaire Homérique II, syntaxe. Il n’est pas lieu de détailler là-dessus. Néanmoins, on peut dire les choses.

  Par rapport aux autres cas : nominatif, génitif, datif, tous de naissance probablement tardive (sauf vocatif, cas particulier), le champ de l’accusatif est remarquablement vaste. Dans la partie consacrée aux cas grammaticaux dans la Grammaire Homérique (§ V), la place réservée à l’accusatif est franchement privilégiée, car les emplois de l’accusatif surpassent tous les autres cas, en ce qui concerne l’importance dans la phraséologie. Avec le trait général dit accusatif de relation, le cas est supérieur à tous les autres dans sa souplesse de suppléer au datif, au génitif, voire, au nominatif, comme on vient de le voir. Ce cas est presque omnipotent.

  Pour comparer l’ancien grec aux autres langues non-indoeuropéennes telle que la langue japonaise, j’ai cru à la nécessité de creuser l’archaïsme de l’arrogante quasi-omnipotence de l’accusatif.  (À suivre)

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Philologie d'Orient et d'Occident
Publicité
Archives
Publicité