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Philologie d'Orient et d'Occident
18 mars 2023

φρήν au masculin (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (510)

Le 18/03 2023, S. Kudo

KIMG2811

 Ishiyamadéra: Murasaki Shikibu y a achevé sa Genji Monogatari (Le dit du Genji) au XIe s.                            

 

Deux principes en-indoeuropéen : le genre et le nombre grammaticaux 

  Antoine Meillet, après avoir formulé sa théorie des cas grammaticaux, troisième principe de la structure linguistique, écrit dans son ouvrage sur l’étude des langues de l’Occident : Outre les cas, les noms distinguent par la flexion le genre animé et le genre inanimé. Le genre inanimé est dit neutre ; (…) le neutre sert pour les choses et ne désigne des personnes qu’autant qu’elles ne sont pas envisagées comme personnes, ainsi lat. mancipium [esclave] ; il est aussi employé dans les diminutifs, ainsi gr. ανδρίον diminutif de ανήρ [homme] … (Introduction à l’étude comparative des Langues indo-européennes, Hachette 1932, p. 189)

   Le linguiste américain Edgar H. Sturtevant (1875-1952), dans sa Grammaire comparative du hittite, s’exprime de manière suivante sur le problème du genre grammatical des nominaux hittites :

Hittite nouns, adjectives, and pronouns present two genders, one corresponding to the IE masculine et feminine, and the other to the IE neuter. Striking difference from the IE system is the lack of the feminine gender, and we may emphasize this fact by naming the Hittite genders masculine and neuter. (…) The lack of the feminine gender in Hittite harmonizes with the incomplete development of that gender in Proto-IE. As in the Indo-European languages the distinction between masculine and neuter is confined to nominative and accusative; only masculines have a special form for the nominative; Neuters have no ending in the nominative singular except that a-stem show the ending -n in the nominative as well as in the accusative … (A Comparative Grammar of the Hittite language,- Yale and Oxford, Oxford University Press, 1951, p. 82. )

   Le flottement entre deux genres : féminin et masculin pour le mot φρήν (cf. billets 507-509) ainsi que l’association des deux genres, sous la même forme des mots tels βοῦς boûs (bœuf), ἱππος hippos (cheval, jument), κύων (chien, bitch), canis lat. (chien, chienne) montre que la distinction des genres grammaticaux, apparue au fil du temps, est comparable à la construction progressive de la conjugaison de verbes (cf. Michel Bréal : Les Commencements du verbe, à l'appendice à l’Essai de sémantique, 1897).  

   La naissance du nombre grammatical est encore plus intéressante à voir. On sait qu’anciennement existait, en plus du singulier et du pluriel, la catégorie du duel. Jean Haudry, dans son L'Indo-européen («Que sais-je», PUF, 2e édition, p. 36), dit : l’emploi premier du duel étant l’emploi dit elliptique, il est concevable que sa désinence ait signifié initialement « avec » : véd. Varunâ « Varuna et (Mitra) ». C’est ce qu’on nomme le duel elliptique. Il est probable que cet emploi est le plus ancien, et que l’autre [naturel] (qui n’en est qu’un cas particulier) en est issu.

   Je suis d’avis que son assertion sur le duel est erronée. Mon argument contre son idée du duel est développé dans mon livre  « D’où est née la langue japonaise » (paru en japonais, Tokyo, Bestsellers, 2005, p. 84-85). Dommage que le livre soit dans une langue d’Extrême-Orient. Mais l’idée essentielle est la même.

   Il y a de nombreux échantillons dans la nature, spécialement dans les parties du corps, où les couples à deux, organes extérieurs tels yeux, oreilles, bras, coudes, épaules, genoux, jambes et même les narines et les lèvres; organes intérieurs tels poumons, reins et les os qui font paire etc. fonctionnent de telle manière qu’ils s’accordent soit au singulier, soit au pluriel aux dépens du duel qui s’effaçait. Pierre Chantraine dit dans sa Grammaire Homérique tome II, p. 24 : Dans les emplois du duel, on observe d’abord le duel naturel, qui se fonde sur la nature des choses et s’applique aux objets qui vont par paire. Quoi qu’il dise ensuite que cette syntaxe, en particulier pour les de parties du corps, est rare chez Homère.  

  La catégorisation du nombre était sans doute déjà évoluée, d’où la disparition progressive du duel. Il s’ensuit que le verbe pour le duel oσσε (yeux) est plus souvent au pluriel, moins souvent au singulier et rarement au duel (cf. Grammaire Homérique II, p. 23).

  Que peut-on conclure de tout cela ?

  L’origine du duel n’est pas elliptique, conception postérieure et raisonnée. Elle doit être naturelle. C’est plutôt l’emploi elliptique, éloigné de la pensée humaine, qui est un cas particulier.

  Une idée surprenante peut naître aussi de ces considérations, c’est l’antériorité ou l’originalité du duel. N’était-ce pas à partir du duel, en accord avec plusieurs concepts numériques, qu’on a pu voir se dessiner le principe du nombre grammatical ainsi que de la science arithmétique ?  (À suivre)

 

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