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Philologie d'Orient et d'Occident
4 décembre 2018

Le genre grammatical (8) et ses conséquences (6)

    Philologie d'Orient et d'Occident (417) Le 04/12/2018  Tokyo K.

Le genre grammatical (8) et ses conséquences (6)

Du nominal au verbal: l'origine de la "déclinaison" en japonais

 

   Parti d'une petite réflexion sur les genres grammaticaux, on est arrivé à un rivage assez éloigné du point de départ. Dans la langue française en l'occurrence, le masculin et le féminin sont issus des trois genres des langues classiques, masculin, féminin et neutre, qui, à leur tour, étaient répartis, comme on peut le voir en hittite, en deux genres: animé et inanimé. Enfin, sur ce chapitre de la grammaire, il est permis de supposer sans être contesté, puisque les autres genres étaient absents, qu'à l'origine du genre des noms n'existait que le genre "inanimé", c'est-à-dire, le "sans-genre".

    Nous sommes ainsi amené à croire qu'en indo-européen, le genre grammatical était perçu, comme en témoigne le neutre grec qui ressortit à l'inanimé originel, dans le nominal sans-genre dont la déclinaison casuelle était tout à fait sobre (cf. billet 416).

   Or, une couverture indo-européenne dont Chantraine avait fait revêtir la construction appositionnelle dans la syntaxe homérique va avoir une tout autre importance. «Selon une structure [l'apposition] héritée de l'indo-européen, chaque mot portait en lui-même la marque du rôle qu'il jouait et les mots conservaient ainsi une grande autonomie» (Grammaire homérique II, Klincksieck, 1981, p. 12). On croit voir là l'image de la phrase primitive. Dans l'apposition, au syntagme nominal est juxtaposé un syntagme non pas verbal mais nominal, parfois sous forme d'adjectif, dérivé d'un substantif.

    Pour «la Crête est une île», les anciens Grecs n'auraient pas dit comme les historiens postérieurs ou les instituteurs: ἡ Κρήτη νῆσος ἐστι mais tout simplement ἡ Κρήτη νῆσος (sans ἐστι). νῆσος ἐστι est un attribut verbal. Une phrase à verbe «être» est une phrase verbale, (...). Elle ne saurait, (...), être prise pour une variété de phrase nominale. Un énoncé est ou nominal ou verbal (Benveniste, Problèmes de linguistique générale I, Gallimard, 1966, p. 157); ... il devient illégitime de chercher une expression implicite de temps, de mode et d'aspect dans un énoncé nominal qui par nature est non-temporel, non-modal, non aspectuel (ibid. p. 166).

   - - - - - -

   Dans la langue japonaise qui n'a pas eu de distinction de genre grammatical ni de correspondant au verbe ontique indo-européen "être", il est malaisé d'affirmer qu'un énoncé est ou nominal ou verbal. Nombreux sont les dialectes où il est impossible de distinguer, pour un syntagme attribut, entre un nom et un verbe.

    hara-no tatsu pour "c'est irritant" (dépt. Wakayama); kaminari-nu ochiru pour "la foudre s'abat" (Kyûshû). Dans la construction en [nom + ga / nu], l'emploi génitif est plus ancien que l'emploi nominatif (Matsumoto Hirotake, Le phénomène ergatif et le japonais, Tokyo,1990). Dans ces deux phrases, tatsu "se soulever" et ochiru "tomber" peuvent être noms, car les deux mots sont joints respectivement, par le suffixe génitif -no (ou -nu) (génitif-nominatif > -nga > -ga), aux nominaux hara "bile" et kaminari "foudre".

   Comme idée, uma-no hashiri "course du cheval" précédait uma(-ga) hashiru "le cheval court"; hana(-no) saki "épanouissement de fleurs", hana(-ga) saku "la fleur s'épanouit " (ici, la particule -ga génitif-nominatif a pour fonction de faire ressortir le sujet). Il est fort possible qu'en japonais, l'idée du nom (d'action) précédât celle du verbe, système plus complexe.

     La flexion verbale de japonais consiste à faire contraster, par alternance vocalique, deux aspects fondamentaux du mot d'action: accompli et inaccompli. Pour le verbe saku "éclore, s'épanouir":

     saka-, dit mizen (imperfectif) représente l'inaccompli

     saki-, ren'yô (nominal), l'accompli, peut être suivi par des auxiliaires : saki-te > sai-te "en s'épanouissant".

     saku, shûshi (neutre) (ren'yô saki+ *wu "être" [wu ontique existe en ryûkyû, cf. billet 33]): hana-saku "les fleurs s'épanouissent"

     saku-, rentai (adjectival), affirmatif du neutre: saku-hana "la fleur qui s'épanouit".

   Le mizen (saka-) ne se lie pas seulement au négatif (saka-zu/nai "ne pas s'épanouir") mais à la volonté avec l'auxiliaire -mu (saka-mu > sakô "qu'on s'épanouisse") ainsi qu'à l'éventualité avec la particule -ba (< ha interjectif): saka-ba "à l'occasion d'épanouissement".

   Meirei "impératif" sake! (l'accompli -ki- +*a "soit" < ari "subsister") et izen "perfectif" sake (l'inaccompli -ka- +i intensif) sont des formules secondaires, accentuées. Le degré d'accentuation chez l'attribut devait s'équilibrer en proportion du sujet renforcé par particules emphatiques: -zo, -namu, -ya, -ka (+ rentai) et -koso (+ izen ou, archaïquement, + rentai):

   "Une voix se fait entendre" se rendait par: koe (intensité zéro) kikoyu (neutre).

   "C'est une voix qui se fait entendre", par: koe-zo kikoyu-ru (rentai).

   "C'est la voix même qui se fait entendre", par: koe-koso kikoyu-re (izen).

   Ainsi en était-il de la "déclinaison" en japonais. (À suivre)

 

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