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Philologie d'Orient et d'Occident
26 juin 2021

Les dieux géants

Philologie d'Orient et d'Occident (477) : le 26/06, 21 Tokyo, K.

Du mythe à la réalité – les dieux étaient-ils des géants ? (XXIe chant de l’Iliade)

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Récolte d'abricots et de prunes (le 21/06/21) à Maebashi, Japon (photo par K.)

 

Plèthre (gr. plêthron): anc. mesure de longueur grecque, 100 pieds, soit 30,80 m.  

            Plèthre carré: mesure de surface de 100 pieds de côté, 10 000 pieds carrés, soit 984,64m2.

(Grande Encyclopédie Larousse)

 

   (…) βάλε θοῦρον Ἄρηα κατ᾽αὐχένα, λῦσε δὲ γυῖα.        v - 406

   (Athéna, de la pierre ramassée) frappa au-dessous du cou l’impétueux Arès, désunit ses genoux)


   ἑπτὰ δ᾽ἐ/πέσχε πέ/λεθρα πε/σών, ἐκό/νισε δὲ/ χαίτας   v – 407

    (Tombant en chute sept plèthres, il souilla de poussière sa chevelure),

   τεύχεά τ᾽ ἀμφαράβησε· γέλασσε δὲ Παλλὰς Ἀθήνη,        v - 408

    (L'armure retentit alentour. Rit Pallas Athéna).

   καί οἱ ἐπευχομένη ἔπεα πτερόεντα προσηύδα·              v - 409

    (Et Athéna, en se glorifiant, lui adressa ces paroles ailées)

   Pour la première partie du vers 407 (du second au troisième pied), on ignore ce qu’Homère entendait par le mot πέλεθρα plètres (plèthron au singulier). Alexis Pierron maintient sa note de la première édition de l’Iliade en 1869 jusqu’à la dernière en 1892 : Ἡπτὰ… πέλεθρα, sept plèthres. On ignore ce qu’Homère entendait précisément par un plèthre. Plus tard, ce fut une longueur de cent pieds : trente mètres environ. Sept plèthres auront donc été environ deux cent dix mètres.

   Le vers 407 se trouve dans la scène où Pallas Athéna, déesse favorable aux Grecs, frappa, d’une grosse pierre rugueuse ramassée au sol, Arès, un des dieux défenseurs des Troyens. Ce vers est traduit par Mario Meunier (Livre de Poche, Albin-Michel 1956) : Elle en frappa au cou l’impétueux Arès et lui rompit les membres. Le dieu tomba et couvrit sept arpents ; la poussière souilla sa chevelure (v. 407). Pallas Athéna se mit alors à rire, et lui adressa, en se glorifiant, ces paroles ailées :

   Le même passage est rendu dans la traduction d’Eugène Lasserre (Flammarion, 1965) : Elle en frappa (…), et désunit ses membres. Il couvrit sept arpents dans sa chute, souilla de poussière ses cheveux (…). Cette traduction est suivie d'une note de l’auteur : Nous ne savons ce qu’était l’arpent homérique.

   Dans l’édition Pléiade par Robert Flacelière (Gallimard, 1955) on lit : (…) elle atteint en plein cou l’impétueux Arès et lui brise les membres. Il tombe et sur le sol il couvre sept arpents. La poussière aussitôt souille sa chevelure ; ses armes retentissent. Pallas se mit à rire et, triomphante, elle lui dit ces mots ailés : la traduction est également accompagnée de cette note : « sept plèthres », mesure de longueur qui, à l’époque classique, représentait trente mètres, mais il n’est pas sûr qu’à l’époque homérique le plèthre ait eu la même valeur. 

   Et en anglais, dans l’édition Loeb (A. T. Murray, Harvard Univ. Press, 1985): Therewith she smote furious Ares on the neck, and loosed his limbs. Over seven roods he stretched in his fall, and befouled his hair with dust, and about him his armour clanged. But Pallas Athene broke into a laugh, and vaunting over him she spake winged words. Or, le sens du mot anglais rood, varierait selon les régions entre l’unité de longueur linéaire à une dimension et celle de surface plane à deux dimensions.

    Une traduction en japonais (Kure Shigeichi, édition Iwanami, 1982) dit de l’endroit crucial du vers 407 : «  il est tombé, étendu sur deux chô entiers ». Le chô est à la fois longueur (environ 109 m, deux chô 218 m) et étendue (un quart de l’arpent). L’interprétation en japonais ne s’écarte pas non plus de celles en d’autres langues. Mais quelle immense dégringolade qu'effectua Arès ! 

   Arès, frappé par la pierre d’Athéna, est-il tombé de tout son long ou a-t-il glissé au sol, emporté par le choc ? De toute manière, le protagoniste n’aurait pu couvrir cette étendue s’il n’était pas un géant démesuré. Il en est de même d’Athéna qui attaque et des autres dieux se chamaillant à ce moment en dispute tapageuse.

   Les habitants de l’Olympe, capables de se métamorphoser à souhait, se seraient gardé d’user de cette capacité, attribut des déités, lorsqu’ils avaient affaire aux mortels de taille limitée. La présentation de ces merveilles était fréquente, les auditeurs des aèdes n’en étant nullement choqués.

   Notre Kojiki, sinon le Nihon-shoki, chronique officielle, abonde en histoires du même gabarit. De nombreuses îles de l’archipel nippon sont nées de l’union du Dieu Izanaki avec la déesse Izanami. On voit avec certaine stupeur que, comparé à ces visions antiques, le monde présent a perdu le bon vieux génie de sympathie. (À suivre)     

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