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Philologie d'Orient et d'Occident
26 août 2014

L'empire du Japon (19) - Qui tua l'ambassadeur de Koryeo

Philologie d'Orient et d'Occident (294)  Le 26/08/2014  Tokyo  K. 

L'empire du Japon: son essor et ses limites (19)

Qui a pu tuer l'ambassadeur de Koryeo ?

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Fretin en brochette par Misao Wada

    Le meurtre d'un ambassadeur coréen (cf. billet 293) dans la seconde moitié du VIe siècle, perpétré par les hommes de l'ambassade au pays de Yamashiro, dans la résidence de l'Accueil des étrangers, est un peu difficile à imaginer. Le complot éventé le soir même de la machination, comment l'ambassadeur qui en était avisé ne put-il y parer ?

   Pourtant, on peut se demander, à sa place, s'il pouvait se comporter autrement que d'attendre dans la cour de sa résidence provisoire, en tenue de cérémonie, qu'un groupe d'assassins lui saute dessus les armes à la main?

   À l'époque, Koryeo (= Koguryeo postérieur) était un pays plus ou moins vassal de l'empire du Japon, comme le Japon l'était de la Chine impériale (cf. billet 292). L'ambassadeur n'aurait donc pu, pour échapper à un assassinat projeté par les membres de sa suite, s'adresser à la police du pays hôte, encore moins recourir aux gardes du corps dont il était sans doute flanqué. L'acte le plus digne et décent n'aurait donc été que de se taire et de se présenter en tenue pour signaler à tous que c'était lui qui représentait son pays. Il n'avait pas d'autre manière d'être.

   Ses assaillants, préoccupés des risques qu'ils encouraient et des profits qu'ils attendaient, n'en avaient cure. L'épisode, parfait exemple d'injustice et de lâcheté, ne l'était qu'en apparence. Toutes les démarches, même les plus répréhensibles, avaient leur raison. Il n'y avait encore aucune autorité morale légitime, aucune instance judiciaire qui pût décider d'une affaire dont la portée s'étendait sur les deux pays, qui, suzerain et tributaire, se considéraient finalement autonomes.

   Il en était de même de l'escroquerie commise à Koshi (cf. billet 293). Alors n'existait aucune compétence qui pût exercer la justice. Si sa victime avait été un ressortissant de l'empire, la force impériale aurait pu intervenir pour se saisir de l'auteur et le punir. Mais la personne qui s'est fait flouer représentait un pays étranger. Il ne pouvait se plaindre à qui de droit de l'empire. À l'époque, l'équilibre juridique n'était d'ailleurs ébauché qu'à peine. D'où, sans doute, l'absence de poursuite judiciaire dans l'affaire. D'où aussi la préoccupation insistante de la part de l'empereur qui se posait en représentant suprême du pouvoir judiciaire.

    La missive adressée à l'empereur japonais qu'apportait l'ambassadeur coréen était tracée en idéogrammes chinois compréhensibles autant en japonais qu'en coréen, mais, curieusement, rédigée à l'encre noire dans des plumes de corbeau. Évitait-on le papier facilement sujet à l'humidité, ou la divulgation imprévisible du message? Cette particularité (coréenne de l'époque ?) aurait rendu difficile le déchiffrement (Nihon-shoki, tome 20, Tokyo, Iwanami-bunko, 1995, vol. 4, p. 18).

   Par contre, la communication orale entre l'ambassade de Koryeo et les Affaires Étrangères de l'empire ne semblait poser aucun problème. Le chroniqueur du Nihon-shoki ne dit mot de la présence ou de l'absence d'interprète dans les lieux, ni de son besoin qui se ferait sentir, une quarantaine d'années plus tard, sous le règne de Suiko, entre l'ambassade japonaise et l'Accueil chinois (cf. billets 292, 293).

   Faute de documents chinois sûrs, les relations entre la péninsule et l'archipel à l'époque antérieure au VIe siècle sont mal connues et le sont encore moins entre le premier et le troisième siècle, la période pendant laquelle, selon Kim Kon-cil 金公七 [-cil, -tsil 七 «sept» < ts'iet, qî «sept» chinois + ilg(op) «sept» coréen ? cf. billet 177], un des meilleurs philologues coréens modernes, aurait eu lieu la séparation du coréen et du japonais (Sur l'identité génétique entre coréen et japonais, in «L'origine de la langue japonaise», recueil monographique réuni par Mabuchi Kazuo, Tokyo, Musashino-shoïn, 1986).

   Le problème du lien génétique entre les deux langues n'est pas facile à trancher, car, la péninsule, ainsi que l'archipel, est loin d'être constituée d'une seule structure ethnique. La différence entre la langue du nord de la péninsule et celle du sud devait être considérable: plus grande encore la différence entre l'aïnou, langue du nord de l'archipel, et celle du centre. Cela dit, la date de la séparation des deux langues proposée par Kim Kon-cil est plus qu'intéressante. (À suivre)

 

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