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Philologie d'Orient et d'Occident
23 septembre 2014

L'empire du Japon (23) - Série de fictions

Philologie d'Orient et d'Occident (298)   Le 23/09/2014    Tokyo  K. 

  L'empire du Japon: son essor et ses limites (23)

Série de fictions

Double mort de l'empereur, expédition fictive en Corée

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Le Nihon-shoki (en 5 volumes) et le Koji-ki

   Selon le Nihon-shoki, l'empereur Tyûai (cf. billet 286) eut deux raisons de mourir. Dans la seconde moitié du IVe siècle (cf. billet 297), dans le pays de Chikushi, au palais Kashihi-gû 橿日宮(訶志比宮 dans le Koji-ki, 香椎宮 aujourd'hui), l'empereur allait partir à la conquête des Kuma-so, rebelles de Kyûshû assimilés aux Hayato (cf. billet 284).

   Entre-temps, il sut, par son épouse prêtresse, future Impératrice Jingû-Kôgô, que Dieu lui conseillait d'aller conquérir, non pas les Kuma-so, habitants d'un pauvre pays, mais Silla, riche pays étranger. N'ayant pas confiance dans l'oracle, il alla combattre les Kuma-so, essuya des revers. De retour dans son palais, il tomba malade et mourut. (Nihon-shoki, tome 8, Iwanami-bunko, 1994, vol. 2, p. 132).

   Dans la version originale du Koji-ki, le passage est plus bref: après avoir rechigné à entendre Dieu, Tyûai tomba brusquement malade et le lendemain il était mort. (Koji-ki, Iwanami-bunko, 1963, p. 132-133). Dieu, irascible, punit de mort l'empereur qui avait désobéi.

   Le chroniqueur du Nihon-shoki, vivant du VIIe au VIII siècle, connaisseur des lettres chinoises, crut bon d'ajouter une autre raison plus logique de la disparition de l'empereur, d'après laquelle Tyûai serait mort percé d'une flèche ennemie pendant qu'il se battait contre les Kuma-so. Ce qui n'était d'ailleurs pas sans vraisemblance, car la force militaire des Kuma-so était prédominante dans le Kyûshû de l'époque.

   Or, soutenue et encouragée par quatre dieux, émetteurs de l'oracle, dont la grande déesse Amaterasu qui allait s'installer dans le sanctuaire intérieur Isé, patron protecteur de l'empire (cf. billets 247-250), l'impératrice Jingû élimina d'abord les Kuma-so (dans la version Nihon-shoki), entreprit ensuite avec son armée dont l'effectif n'était nullement détaillé la conquête du pays de Silla, y réussit facilement. Ses navires avaient allègrement traversé la mer sur le dos des poissons. Le roi de Silla se soumit sans montrer aucune résistance et lui promit même de servir de valet d'écurie sous les ordres de la famille impériale (Koji-ki, ibid. p. 134-135). Une fable.

   De retour à Chikushi, l'impératrice mit au monde le futur Ôjin (cf. billet 272), qu'elle avait porté dans son ventre pendant toute sa campagne. Ce prince, après avoir défait la résistance de ses deux grands frères consanguins, fit son entrée dans le centre du pays, monta sur le trône. La fable permit à Mizuno Yû de proposer pertinemment l'hypothèse de l'avènement d'une nouvelle dynastie qui tranchait avec l'ancienne, magico-religieuse (cf. billet 286).

   Le chroniqueur du Nihon-shoki, nourri de vagues souvenirs vieux de plus de 300 ans, créa rétrospectivement un récit de la reconquête du pays continental afin de pérenniser un rapport de force né momentanément entre l'archipel nippon et la péninsule coréenne.

   Quoique le nom de l'invraisemblable impératrice Jingû-Kôgô ait dû être radié de la liste des noms de la généalogie impériale, cette fiction du VIIIe siècle persista. Donnant naissance à plusieurs légendes, elle fut enseignée comme une vérité historique à laquelle le peuple continuait de croire. Jusqu'à la fin de la guerre du Pacifique, ceux qui la contestaient dans nos écoles se voyaient passibles de sanction.

   À l'occasion de la publication de la Chronique de l'empereur Shôwa dont je vais parler au prochain billet, Hara Takeshi, qui enseigne l'Histoire politique du Japon (il est professeur à l'univ. Meiji-Gakuïn, Tokyo), nous fait remarquer que, en juillet et août 1945, juste avant que les deux bombes atomiques soient larguées sur les deux villes, l'empereur Shôwa envoya au temple Kashihi-gû 香椎宮 (voir ci-dessus) ses missi dominici pour leur y faire invoquer l'«anéantissement des ennemis» (Le quotidien Tokyo, le 9 /09/14).

   Fondé sur des fictions, l'empire du Japon avait changé de nature depuis l'époque Heian. Son empereur se doit de présider même aux fléaux. La guerre n'en est-elle pas un pour le peuple finalement ? L'empereur Shôwa fit au moment ultime, certes, les mêmes actes auxquels avait procédé l'empereur Seiwa en 868, l'année précédant le gigantesque tsunami du Tohoku (cf. billet 125).  (À suivre)

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