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Philologie d'Orient et d'Occident
14 septembre 2016

Les serments de Strasbourg (8)

Philologie d'Orient et d'Occident (Hors-série)

La naissance d'une langue nationale

Réflexions politico-linguistiques sur les Serments de Strasbourg (8)     Le 14/09  2016   Tokyo   K.

 

   Où a-t-on d'abord cessé de parler latin ?

   Charles Camproux[1] cite W. von Wartburg, qui estime que la France du Sud, pour l'usage de la langue populaire, fut en avance de plus d'un siècle sur tous les pays voisins. La précocité de cet emploi aurait été due au caractère municipal de la civilisation occitane. Il est vrai, en effet, que ce pays du droit écrit, héritier des traditions romaines, disposait d'un plus grand nombre de documents officiels écrits que les aires géographiques du Nord, pays de droit coutumier. Mais la langue populaire utilisée dans le Midi, comparée à la langue du Nord, ne différait pas beaucoup du latin. La différence y est toujours moindre, tant en morphologie qu'en phonétique. 

   Un personnage tel que Sidoine Apollinaire, qui, sous l'occupation wisigothe, s'efforça de préserver la civilisation latine du Midi, n'aurait pas pu œuvrer de la même manière dans le Nord placé sous la domination franque. Il est tout à fait probable que la culture latine déclinait surtout dans le Nord, tout au moins parmi les gens du peuple, tandis que dans le Sud elle s'était conservée tant naturellement qu'artificiellement. Le besoin de reconstruire les études latines nettement perçu par Charlemagne, se serait donc plutôt fait sentir dans le Nord, là où ses fruits pouvaient être surtout sensibles.

   Sur ce point une autre vision des choses a été développée. Ferdinand Lot, en effet, écrit: la Renaissance carolingienne «n'a été durable que dans les régions du Regnum où l'autorité du souverain reposait sur les bases anciennes et fermes, les pays francs, allant du Rhin à la Loire, avec le nord de la Bourgogne. Les parties mal soumises, mal assimilées, germaniques (...) ou romanes (Aquitaine, Gothie, Provence, Italie même) ne participeront que superficiellement à cette Renaissance»[2].  Mais on préférera considérer que ce qui est ainsi manifesté représente plus une constatation historique qu'une cause profonde. Il semble donc que la décision prise par le concile de Tours ne concernait, en fin de compte, que le Nord.

   En d'autres termes, la scission entre le latin et la langue populaire était surtout importante dans le Nord, ce qui fait que c'est surtout sur cette aire que les gens ont conçu d'abord la langue populaire comme étant leur langue «nationale», suffisamment différenciée même du galimatias du prêtre ayant bénéficié des acquis culturels nouveaux. Cette prise de conscience linguistique de la nation a beaucoup contribué à faire souhaiter aux gens du Nord des manifestations concrètes de leur langue en ce qui concerne la poésie, dans une atmosphère de maturité religieuse, acquise par les descendants des premières tribus de Germains convertis au catholicisme. D'autre part, toujours dans le Nord, les Francs dominants et les Gallo-Romains dominés se situaient dans la même perspective religieuse, alors que, dans le Sud, les résidus de l'ancienne structure wisigothique (ariens dominants / catholiques dominés) empêchaient peu ou prou la conscience de l'unité religieuse, nationale et linguistique, de se former et de s'établir. Il fallut donc un temps considérable de décantation pour voir naître de cet état de choses une Vie de saint, simple et pure telle que la Chanson de Sainte Foy.  (À suivre)



[1] Histoire de la littérature occitane, Paris, PUF, 1953, p. 18.

[2] «À quelle époque a-t-on cessé de parler latin ?», Bulletin Du Cange, 1931, p. 149.

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