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Philologie d'Orient et d'Occident
11 mars 2014

Le Nord-Est et l'Empire (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (270)

                                                               Le 11/03/2014     Tokyo    K.

Nagasune-Hiko, prince de l'Est et le début de l'empire

                                          Le Nord-Est et l'Empire (2)

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Étoiles de mer et coquille de St. Jacques par Misao Wada

   Selon le Koji-ki et le Nihon-Shoki, compilés tous les deux au début du VIIIe siècle et présumés les premières expressions littéraires de la langue japonaise, rédigés en chinois (kan-bun), mais lisibles en japonais, la longue tournée du pays entreprise par l'Empereur mythique Jinmu dans la terre de l'Est (cf. billet 269) n'aurait pas été une expédition militaire dirigée contre les barbares de l'Est.

   Amorcée, à une date légendaire (2680 ans BP), à partir du sud de Kyûshû vers l'Est, c'est-à-dire, en direction du centre de l'archipel, l'opération était menée d'abord par deux princes frères: Itsuse-no Mikoto, l'aîné, et  Kamuyamato-iwarebiko-no Mikoto, le quatrième et dernier, tous les deux, fils du prince Ugayafukiafezu-no Mikoto (cf. billet 223). C'était seulement à la fin du mouvement vers l'Est qui dura plus de seize ans que le cadet Kamuyamato-iwarebiko fut placé sur le trône, comme Empereur Jinmu. Au cours d'une interminable succession de banquets et de faits d'armes, l'aîné Itsuse-no Mikoto était mort, grièvement blessé par Nagasune-Hiko, prince de l'Est (cf. billet 269).

   Soit pour cacher le motif d'expédition consistant à s'approprier la souveraineté du pays, soit pour atténuer les rudesses guerrières peu séantes à la dynastie naissante, les deux documents littéraires émanant, une fois la chose faite, de la famille impériale, avaient produit, pour légitimer les manœuvres militaires, ces prétextes anodins:

   «Pour gouverner avec équité et impartialité le pays sous le ciel, où convient-il de siéger? Allons encore vers l'Est» (Koji-ki, début du vol. 2).  

   «À l'Est, il existe un beau pays entouré de montagnes vertes. (...) Pourquoi ne pas y aller pour en faire la capitale?» (propos originaire d'un vieux conseiller. Nihon-Shoki, vol. 3: traduction K.).

   Ces propos inoffensifs échangés entre les deux frères princiers occultent évidemment leur volonté inavouée d'aller conquérir l'Est.

   Selon les deux sources, les scènes du mythe se seraient déroulées dans le centre de l'archipel, sinon vers 2680 ans BP, chronologie hypothétique, mais au moins bien antérieurement au VIIe siècle au milieu duquel eut lieu la rencontre des Aïnou, soutenus par la flotte impériale de l'amiral Abe-no Hirafu (cf. billet 245), avec les Mishihase, mystérieuse tribu du nord, qui venait de pénétrer dans le Hokkaidô (Nihon-Shoki, vol. 26, chapitre portant sur la période de l'Impératrice Saimei,).

   Dans un article intitulé «Les Indigènes de Sibérie» (Torii Ryûzô, Revue Taïyô, Tokyo, 1895, reproduit dans les Œuvres Complètes Torii Ryûzô, Tokyo, Asahi-shimbun-sha, 1951, vol. 7, p. 549), l'auteur affirma que les Mishihase (Shukushin 粛慎 en chinois) s'identifiaient à une grande ethnie de Sibérie orientale: Toungouses. L'épisode de rencontre en 661 des Aïnou avec les Mishihase (cf. billet 245) nous apprend que la communication entre les deux ethnies ne pouvait avoir lieu. Ils ne se comprenaient pas.

   Or, le prince barbare Nagasune-Hiko, présumé Toungouse par Torii Ryûzô (cf. billet 269), après avoir décoché une flèche mortelle au prince aîné Itsuse-no Mikoto, pouvait s'entretenir plusieurs fois, comme s'ils étaient issus d'une même tribu, avec le futur empereur Jimmu, jusqu'à ce que le premier finît par être tué par le dernier (cf. Nihon-Shoki, vol. 3, vers la fin). Cela ne pouvait que signifier qu'assiégeants (côté impérial) et assiégés (côté Nagasune-Hiko, les insoumis de l'Est), ils usaient, selon les documents, d'une même langue.

   Aux temps homériques, les Occidentaux (grecs égéens) et les Orientaux (grecs d'Anatolie) s'entretenaient dans une même langue. Il n'y avait aucun malentendu dans la fameuse tirade réciproque entre le secours troyen Γλακος et le héros grec à la bonne voix Διομήδης (cf. L'Iliade, chant 6). Malgré les conditions bien différentes de la situation, telle pouvait être la communication orale entretenue vers la même époque entre les hommes de l'empire et Nagasune-Hiko, le Toungouse selon Torii.

   L'expédition lancée à l'Est n'était-elle qu'une étape, voire un processus, pour l'unification d'une population homogène? D'abord en petits groupes parmi les Aïnou-Jômon qui étaient bien nombreux dans l'archipel, les Toungouses, supposés immigrants continentaux vers 2700-2800 ans BP, allaient-ils dominer le pays? (À suivre)

 

 

 

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