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Philologie d'Orient et d'Occident
16 avril 2013

Yoshimoto Ryûmei (6), philosophe de la langue

Philologie d'Orient et d'Occident (223)

                                      Le 16/04/2013, Tokyo     K.

Yoshimoto Ryûmei, philosophe de la langue (6)

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«Aimez-vous les articles de marque ?» par Misao Wada

 

   Pour Yoshimoto Ryûmei, l'impossibilité du nom de la princesse Momotofumiagari «Cent fois bondissante» (cf. billet 222) peut être liée avec un autre nom impossible, dans la langue wa-go, tel que Ugayafukiafezu-no mikoto. Il s'agit d'un épisode sur le nom d'un dieu, père du premier empereur légendaire Jinmu, relaté dans le Kojiki à la fin du volume kami-tsu-maki, c'est-à-dire, du premier volume.

   La finale ...no-mikoto (dieu de...) étant commune à tout autre nom de dieu, qu'il soit masculin ou féminin, l'excentricité se résume, pour notre critique, dans l'expression: ugayafukiafezu. Ugaya «hutte au toit des plumes de cormoran», fuki, nominal de fuku «couvrir», afezu «inachevé». Toute la phrase signifie: «hutte d'accouchement dont le toit n'est pas encore couvert de plumes de cormoran». L'enfant dieu est surnommé dès sa naissance: «de la hutte au toit inachevé des plumes de cormoran». C'est un nom qui me rappelle bien des choses.

   L'auteur du présent article, originaire du nord, a longtemps porté le surnom «né au moment du pilonnage de motchi (gâteaux de riz)» - son anniversaire étant situé à la fin d'année, au moment de la confection de ces mets de riz du nouvel an. Il n'a aucun déplaisir à l'égard de ce genre de désignation. La sensibilité de Yoshimoto Ryûmei, s'engourdissant de plus en plus depuis ses débuts dans les années 60, semble vouloir expédier ces surnoms traditionnels aux confins de deux langues dissemblables pour lui, l'une nationale et standard, l'autre étrangère, dont la distinction n'est guère évidente.

   Les appellations telles que «cent fois bondissante», «de la hutte au toit inachevé des plumes de cormoran» ou «né au moment du pilonnage de motchi» semblent prouver que les Japonais savaient et savent toujours nommer les choses tout en contournant le tabou qui touche le nom véritable. 

   Certaines épithètes homériques invitent également à penser que non seulement les Japonais archaïques mais les anciens Grecs étaient aussi proches de nous.

   Une épithète de Zeus: τερπικέραυνος est composée d'un verbe τέρπω «se plaire à» et d'un substantif κεραυνός «foudre». Zeus est «celui qui se plaît aux coups de foudre». Le sens «qui se réjouit des coups de foudre» semble bien conforme au goût des anciens. Le nom du roi grec, frère d'Agamemnon, Ménélas, serait «celui qui attend de pied ferme (μένω) l'armée (λαός)». Le bœuf se coiffait parfois d'une épithète pittoresque: είλίπους (εἴλω «tourner» et πούς «pied, jambe») «qui tourne les jambes en marchant». Le premier élément constitutif de ces trois épithètes n'est pas le substantif (κεραυνός, λαός ou πούς) mais, comme dans le cas japonais, le verbe transformé en nominal (τέρπι-, μένέ- ou εἰλί-). C'est la nominalisation d'un élément verbal qui fait l'épithète.

   En aïnou, le «roi» se rend, selon Mme Suzuko Tamura (cf. billet 176) dans le Grand Dictionnaire de la Linguistique (Tokyo, Sansei-dô, 1988, vol. 1, p. 36) par une série de mots: mosir epitta epunkine kur. Les quatre éléments sont analysables respectivement: mo (petit)-sir (pays, terre), epitta (entier, tout), e-punki-ne (y être protecteur), kur (celui qui...). Les mots s'ordonnent en une phrase: «[celui qui] est protecteur du pays», dont le sémantème essentiel converge sur le verbe nominalisé epunkine.

   Une petite réflexion s'impose: l'absence d'un terme plus court pour «roi» permet d'imaginer que la notion en aïnou, formée probablement du contact d'une civilisation extérieure, japonaise en l'occurrence (Mme Suzuki suppose comme constituant étymologique de punki le mot japonais bugyô 奉行 «magistrat» de l'époque Edo), n'était pas ancrée dans une longue tradition aïnou. Elle était récente.

   L'étonnant est qu'on n'ait pas emprunté au japonais tout simplement le concept avec le mot servant à le désigner. Ce qui veut dire que la civilisation aïnou était encore en mesure de tenir tête aux pressions extérieures. Le terme mosirepittaepunkinekur était certes une phrase composée selon les bonnes règles phraséologiques de l'aïnou. N'ayant aucun lien avec le japonais par la filiation linguistique ni par l'ensemble lexical, la phrase aïnou construite par juxtaposition manifeste une nette affinité avec celle du japonais archaïque que Yoshimoto veut reléguer, à tout prix, dans la zone malayo-polynésienne.  (À suivre)

 

 

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