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Philologie d'Orient et d'Occident
19 mars 2013

Yoshimoto Ryûmei (2), philosophe de la langue

Philologie d'Orient et d'Occident (219)

                                             Le 19/03/2013, Tokyo     K.

Yoshimoto Ryûmei, philosophe de la langue (2)

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                                                                            Une fiasque de chianti par Misao Wada

 

 

   Critique littéraire et sociologue de formation scientifique (diplômé de chimie), Yoshimoto Takaaki (dit Ryûmei, lecture à la chinoise), est né en 1924 à l'arrondissement Chûô, dans le district Tsukishima, quartier industriel d'un marais littoral remblayé sur la baie de Tokyo. Ses parents originaires d'Amakusa (Kyûshû), lieu célèbre des martyrs chrétiens au début de l'époque Édo, son père, charpentier de navire, dirigeait un atelier de fabrication de bateaux dans ce nouveau secteur grouillant d'ouvriers masculins.

   Son caractère de créateur atypique, sa manière d'aller droit au but et son goût intense pour la polémique viendraient tout autant de ce lieu de naissance peu commun que de la guerre meurtrière à laquelle il a échappé tout jeune. Il fut un des contrepoids salutaires à une bande d'insipides critiques foisonnant dans les media et dans l'académisme après-guerre, sortis d'une des «prestigieuses universités nipponnes», férus des langues occidentales. Peu versé dans les langues étrangères, il ne recourait, lorsqu'il avait maille à partir avec les intellectuels occidentaux, qu'aux traductions. C'était son fort et son faible.

   Son fort, puisqu'il savait parfaitement manier sa langue propre au quartier populaire de Tokyo, consistait dans l'usage de jurons, d'invectives dont il excellait à accabler son adversaire dans les querelles philosophiques. En plus de l'intelligence, il avait la langue bien pendue.

   Son faible, le recours à la traduction. Lecteur infatigable des critiques occidentales en tous genres, il ne lisait pas dans l'original mais dans la traduction. Il remplit ses nombreux ouvrages d'une énorme quantité de textes d'origine étrangère, non pas dans l'original mais dans la traduction faite par d'autres censés mieux s'y connaître. Lui n'aurait été à l'aise ni en français ni en allemand ni même en anglais. Il n'aurait pas imaginé qu'entre l'original et la traduction existât souvent un abîme. Sa polémique avec les occidentaux dont Michel Foucault, nécessitant l'entremise d'un interprète, s'exécuta dans le cadre linguistique du japonais. Philosophe monolingue, il était invincible dans sa matrice.

   Sa Matrice (Bokéi-ron, Tokyo, Gakken, 1995) est un recueil de plusieurs articles qu'il a publiés, un peu à bâtons rompus, entre 1991 et 1995 pour trois périodiques dont Marie Claire, version japonaise (Tokyo, Chûô-kôron-sha, 1991). Un des grands thèmes qui y ont été traités était «l'origine de la langue japonaise».

   À propos de la thèse de l'antériorité des cinq voyelles japonaises aux trois voyelles ryûkyû (cf. billets 38, 45) dans la formation du japonais, Yoshimoto dit:

   «Selon l'image que nous avons de la langue [japonaise], le dialecte [ryûkyû] de Yonakuni, avec le dialecte tôhoku qui lui ressemble, est le japonais de vieille couche, de la famille linguistique malayo-polynésienne, sur lequel se sont accumulés des éléments altaïques du continent du nord. Cette langue japonaise qui s'en était fait légèrement saupoudrer, à point que la surface s'en faisait remarquer, est devenu le dialecte (ryûkyû) de Yonakuni (et le tôhoku qui lui ressemble): et une autre dont la vieille couche s'en était fait submerger était le japonais du centre de l'archipel. Voilà l'image proche de la réalité.» (p. 101-102)

   Ici, il y a deux idées d'importance majeure. Je partage entièrement l'une, c'est-à-dire, l'idée que les trois voyelles (a, i, u) du dialecte Yonakuni ne sont pas le résultat de réduction des cinq voyelles (a, i, u, e, o) du centre de l'archipel mais conservaient intact l'état de couche antérieur au japonais du centre. Son réflexe de l'origine du sud (dépt. Kumamoto, ibid. p 233) et sa familiarité avec un dialecte tôhoku (jeune, il est allé étudier à Yamagata, une des grandes villes de Tôhoku) ont fini par l'empêcher de retomber dans la même ornière que les dialectologues, adeptes fidèles aux linguistes conventionnels. Il avait un flair certain pour ce que c'était que la langue de nos ancêtres.

   En revanche, je ne peux accepter sa prémisse que la langue japonaise serait de la famille malayo-polynésienne. C'est un peu étonnant de le voir s'accrocher encore dans les années 90 à cette idée depuis longtemps périmée. La thèse selon laquelle l'origine des Japonais serait le nord-est du continent, fortifiée par les virologues et les généticiens, suit son cours.  (À suivre)

 

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