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Philologie d'Orient et d'Occident
25 septembre 2012

Naert et ses amis aïnou

Philologie d'Orient et d'Occident (196)

                                       Le 25/09/2012, Tokyo    K.

                                         Naert, connaissait-il la langue aïnou ? (3)

 

    L'année suivant la publication de la thèse indo-européenne de l'aïnou, Naert est parti pour Hokkaido, «afin d'étudier l'aïnou, de l'intérieur, là où il est parlé» (cf. billet 194). Le ton des échanges avec Gjerdman (cf. billet 188) et Tailleurs, d'abord tout à fait civil, s'était détérioré, envenimé et aigri à outrance et, pour Gjerdman, son aîné de presque deux générations, la réconciliation était presque impossible.

    La formule employée pour annoncer à Gjerdman le but du voyage, «afin d'étudier l'aïnou de l'intérieur ("internally"), signifierait que sa thèse était composée des images extérieures de l'aïnou. Comment étaient-elles conçues, ces images ? En vue d'un tel pavé, la centaine d'ouvrages cités à la fin de sa thèse constitue un véritable arsenal des documents disponibles dans les années cinquante.

    De quelle manière a-t-il lu tous ces documents parmi lesquels figurent de grands noms de la linguistique comparée (la date d'édition est celle de ses propres références) :

    Bernhard Karlgren (Analytic Dictionary of Chinese and Sino-Japanese 1923),

    Antoine Meillet (La Méthode comparative en linguistique historique 1925),

    Kindaïchi Kyôsuke (Yûkara on Kenkyû 1931),

    Holger Pedersen (Hittitisch und die anderen indoeuropäischen Sprachen 1938),

    Dwight William Whiteny (Sanskrit Grammar 1950)

    Edgar H. Sturtevant (A Comparative Grammar of The Hittite Langage 1951),

    Gustaf J. Ramstedt, (Studies in Korean etymology 1949-1953),

    Wolfgang Krause (Tocharisch 1955),

    André Martinet (Économie des changements phonétiques 1955),

    Dans sa liste, il cite également les Origines (1935) de Benveniste et l'article de Gjerdman: Word-parallels between Ainu and other languages (1926). Hittite et indo-européen de Benveniste, publié en 1962, ne pouvait figurer dans la liste.

     La lecture approfondie d'une seule de ces œuvres lui aurait pu éviter la direction qu'il a fini par choisir. Insuffisamment instruit en aïnou et en japonais, sans être armé de méthodologie bien précise, il s'est lancé dans le problème épineux de filiation des langues.

    Les deux dictionnaires utilisés le plus intensément sont: Dictionnaire Aïnou-Anglais-Japonais de Batchelor (Tokyo, 3e édition, 1926) pour le vocabulaire aïnou et, pour les racines du vocabulaire indo-européen, Indogermanisches Etymologisches Wörterbuch du celtisant Julius Pokorny. Sorti en entier en 1959 (Bern 1949 ss.), ce dernier dictionnaire est né de son ancienne édition, Vergleichendes Wörterbuch der Indogermanischen Sprachen (Walde et Pokorny, Berlin et Leipzig, 1930), entièrement remanié, augmenté de nouvelles données fournies par le hittite et le tokharien, deux langues indo-européennes déchiffrées au début du XXe siècle. Naert se serait surtout servi de cette ancienne édition.

    Au moment où Naert fit un tour de Hokkaido en 1959 vivaient encore de nombreux pratiquants de l'aïnou, âgés mais valides. Il aurait fréquenté plusieurs aïnophones dont l'une, nommée Fujiyama Haru, originellement Esohrankemah, selon son livre Aioina (1960). C'est avec cette dame qu'il travailla tout particulièrement. Née en 1900, selon le dictionnaire Hattori, et élevée jusqu'à l'âge de 11 ou 12 ans à Esituri sur la côte ouest de Sakhaline. Elle s'est déplacée, après son mariage avec un jeune Aïnou, dans le sud de Sakhaline (Rayciska) et y est restée jusque vers la fin de la guerre, en 1944. Mme Fujiyama était donc une authentique Aïnou de la partie septentrionale de l'île. Son cas a fourni un précieux spécimen du dialecte de Sakhaline.

    Mme Murasaki Kyôko (1937~), aïnouiste (le terme est de Tailleur), spécialiste de l'aïnou de Sakhaline, disciple et collaboratrice du professeur Hattori (An Ainu Dialect Dictionary 1964), a connu Mme Fujiyama au cours de ses enquêtes. Mme Murasaki rapporte un mot de Mme Fujiyama sur son collègue européen, dans un petit prospectus de recommandation des collections aïnou (The Ainu Library) dirigées par sa jeune collègue en aïnologie, Kirsten Refsing.

    « M. Naert [na:r] était très drôle. Ne comprenant rien de rien en aïnou ni en japonais, il était pourtant bon dessinateur. Par ses dessins il savait se faire bien comprendre. Son séjour était très agréable.»

   Un autre Aïnou, ami de Naert, Kayano Shigeru (1926-2006), plus tard parlementaire, fit déclarer en 1997 par la Diète que l'ethnie aïnou devrait être reconnue autochtone de l'archipel. N'était-ce pas l'idée de Naert épanouie ? (À suivre)

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